Air France, c’est qui ?
|Comme beaucoup de gens, j’ai reçu hier après-midi un courrier électronique d’Air France. De ce que j’ai entendu, ils l’ont envoyé à tous les abonnés ; ma carte Flying Blue a donc dû les mettre sur ma trace. Ce courrier, le voici :
Ce courrier m’a donné envie d’y répondre.
Cher Frédéric Gagey,
permettez-moi tout d’abord de vous reprendre sur un point : je n’ai rien perçu en voyageant avec vous. En fait, je ne suis pas monté dans un avion Air France depuis un petit moment. Je regarde pourtant systématiquement, pour chaque déplacement que je dois faire, si c’est opportun ; et tout aussi systématiquement, d’autres compagnies proposent de meilleures conditions — tarifs inférieurs, toujours, horaires plus pratiques, parfois. Quant au service, je suis désolé de vous dire que ce n’est pas réellement un argument sur des courts- et moyens-courriers, où l’on passe autant de temps dans le RER que dans l’avion : après un Paris — CDG 2 dans une Z 8100 bondée, un A320 haute densité d’Easyjet paraît déjà confortable, même avec mon sac photo sous le siège. Résultat : je n’ai encore jamais pris un avion Air France à mes frais.
Quant à ceux que j’ai pris en voyages de presse, je n’ai rien remarqué de spécial. En fait, l’avion a plus d’importance dans le confort que la compagnie : les bicouloirs sont naturellement moins bruyants que les monocouloirs, L’A321 offre un peu plus d’espace aux jambes que ses cousins courts, et le fuselage étroit et les hublots réduits de l’ERJ145 le rendent particulièrement oppressant (en plus de sa climatisation peu efficace au sol). Le service à bord, outre qu’il est généralement assez secondaire, ne m’a franchement jamais choqué : Air France, Easyjet, Icelandair, Croatia, Aegean, Scandinavian, Air Malta LAN Chili, American ou encore Czech m’ont toutes fourni des hôtesses et des stewards agréables, serviables et professionnels.
Cependant, ce n’est évidemment pas pour vous parler de mon expérience des vols Air France que je vous réponds aujourd’hui.
Non, je vous écris pour parler des violences de lundi, puisqu’elles sont le sujet de votre courrier.
Vous évoquez des individus isolés. Mais peut-on réellement parler d’individus isolés quand une demi-douzaine de cadres snobent superbement des gens qui essaient de leur parler ? Vous disiez, il y a un an, qu’on “ne peut réformer qu’avec les personnels” et que vous aviez “ouvert le débat”. Est-ce vraiment le cas quand des employés qui interpellent les cadres de l’entreprise ont pour réponse des dos tournés et des haussements d’épaules ?
Ah pardon, je suppose que vous parliez des violences qui ont amené un de vos employés à escalader une grille torse nu. Certes.
Permettez-moi une petite remarque : lorsque je vois des gens énervés déchirer les vêtements d’une autre personne, je pense spontanément qu’il s’agit de quelques cas isolés. Éventuellement, je me demande pourquoi ils sont dans cet état et comment l’humanité a pu en arriver là, mais ça ne va pas plus loin.
En revanche, lorsque je vois une employée essayer de discuter avec une poignée de cadres qui n’ont même pas la décence de la regarder, je n’ai pas là l’impression qu’il s’agisse de l’énervement de quelques crétins isolés ; j’ai plutôt le sentiment qu’une structure a explicitement conseillé aux cadres de refuser tout dialogue.
Cette image-là est bien plus grave pour celle de votre entreprise que celle de quelques excités qui pètent les plombs. L’image d’une entreprise est bien plus véhiculée par ses cadres que par ses syndicalistes, et le comportement des gens calmes a toujours beaucoup plus d’impact que celui des énervés. Lorsque des hommes en costume, tranquilles et dispos, finissent leur café entre eux en faisant comme si personne ne leur parlait, ils donnent l’image d’une entreprise glaciale qui n’a rien à faire de son personnel. C’est bien plus dommageable qu’une poignée d’énervés qui déchirent la chemise d’un tiers — qui, eux, ne représentent que les cons incapables de maîtriser leurs nerfs et n’ont aucun impact sur l’image de l’entreprise.
C’est d’autant plus dommageable que la réaction d’Air France renforce le côté inhumain qui apparaît dans cette vidéo. Plutôt que de répondre aux questions de cette personne (efforts des employés, stagnation des salaires, voire simplement le fait de n’avoir eu aucune réponse des gens à qui elle parlait), vous avez préféré vous fendre d’un courrier dédouanant l’entreprise de choses qu’on ne lui a jamais reprochées, avec une vidéo publicitaire à la fin. Le fait est que, par cette réaction, vous avez préféré la publicité au dialogue, le commercial à l’humain, la communication d’entreprise à la communication tout court. Air France a, elle-même, renforcé la froideur et le refus du dialogue qui ressortaient de cette vidéo.
Le comble ? Le courriel que vous avez envoyé n’accepte pas de réponse. Quant à votre site internet, il propose de vous contacter pour les problèmes de navigation sur le site, la vente, les incidents et réclamations, mais rien n’est prévu pour simplement vous communiquer nos remarques. Au temps pour le dialogue avec les clients…
J’aurais aimé qu’Air France explique pourquoi ses cadres ont ainsi, pendant trois minutes au moins, refusé toute discussion avec une salariée qui, pour véhémente qu’elle fût, ne faisait que demander “de la considération”. C’est beaucoup, beaucoup plus important que de savoir pourquoi trois bas de plafond ont déchiré une chemise.
Parce que, en temps que client, la probabilité de me faire agresser par un crétin quelconque est extrêmement limitée, et j’aurai toujours la possibilité de lui en retourner une, d’appeler à l’aide ou de partir en courant. En revanche, dans le cas plus probable où j’aurais un problème avec un service Air France qui ne puisse être simplement résolu au comptoir (ne serait-ce qu’un problème de routage de bagages ou de café renversé par une turbulence), qui me dit que je ne serai pas accueilli par vos cadres, glaciaux et hautains, qui ignorent les gens qui leur parlent ?