Air France, c’est qui ?

Comme beau­coup de gens, j’ai reçu hier après-midi un cour­rier élec­tro­nique d’Air France. De ce que j’ai enten­du, ils l’ont envoyé à tous les abon­nés ; ma carte Flying Blue a donc dû les mettre sur ma trace. Ce cour­rier, le voici :

Reçu le 9 octobre à 15:07.
Reçu le 9 octobre à 15:07.

Ce cour­rier m’a don­né envie d’y répondre.

Cher Fré­dé­ric Gagey,

per­met­tez-moi tout d’a­bord de vous reprendre sur un point : je n’ai rien per­çu en voya­geant avec vous. En fait, je ne suis pas mon­té dans un avion Air France depuis un petit moment. Je regarde pour­tant sys­té­ma­ti­que­ment, pour chaque dépla­ce­ment que je dois faire, si c’est oppor­tun ; et tout aus­si sys­té­ma­ti­que­ment, d’autres com­pa­gnies pro­posent de meilleures condi­tions — tarifs infé­rieurs, tou­jours, horaires plus pra­tiques, par­fois. Quant au ser­vice, je suis déso­lé de vous dire que ce n’est pas réel­le­ment un argu­ment sur des courts- et moyens-cour­riers, où l’on passe autant de temps dans le RER que dans l’a­vion : après un Paris — CDG 2 dans une Z 8100 bon­dée, un A320 haute den­si­té d’Ea­sy­jet paraît déjà confor­table, même avec mon sac pho­to sous le siège. Résul­tat : je n’ai encore jamais pris un avion Air France à mes frais.

Quant à ceux que j’ai pris en voyages de presse, je n’ai rien remar­qué de spé­cial. En fait, l’a­vion a plus d’im­por­tance dans le confort que la com­pa­gnie : les bicou­loirs sont natu­rel­le­ment moins bruyants que les mono­cou­loirs, L’A321 offre un peu plus d’es­pace aux jambes que ses cou­sins courts, et le fuse­lage étroit et les hublots réduits de l’ERJ145 le rendent par­ti­cu­liè­re­ment oppres­sant (en plus de sa cli­ma­ti­sa­tion peu effi­cace au sol). Le ser­vice à bord, outre qu’il est géné­ra­le­ment assez secon­daire, ne m’a fran­che­ment jamais cho­qué : Air France, Easy­jet, Ice­lan­dair, Croa­tia, Aegean, Scan­di­na­vian, Air Mal­ta LAN Chi­li, Ame­ri­can ou encore Czech m’ont toutes four­ni des hôtesses et des ste­wards agréables, ser­viables et professionnels.

Cepen­dant, ce n’est évi­dem­ment pas pour vous par­ler de mon expé­rience des vols Air France que je vous réponds aujourd’hui.

Non, je vous écris pour par­ler des vio­lences de lun­di, puis­qu’elles sont le sujet de votre courrier.

Vous évo­quez des indi­vi­dus iso­lés. Mais peut-on réel­le­ment par­ler d’in­di­vi­dus iso­lés quand une demi-dou­zaine de cadres snobent super­be­ment des gens qui essaient de leur par­ler ? Vous disiez, il y a un an, qu’on “ne peut réfor­mer qu’a­vec les per­son­nels” et que vous aviez “ouvert le débat”. Est-ce vrai­ment le cas quand des employés qui inter­pellent les cadres de l’en­tre­prise ont pour réponse des dos tour­nés et des haus­se­ments d’épaules ?

Ah par­don, je sup­pose que vous par­liez des vio­lences qui ont ame­né un de vos employés à esca­la­der une grille torse nu. Certes.

Per­met­tez-moi une petite remarque : lorsque je vois des gens éner­vés déchi­rer les vête­ments d’une autre per­sonne, je pense spon­ta­né­ment qu’il s’a­git de quelques cas iso­lés. Éven­tuel­le­ment, je me demande pour­quoi ils sont dans cet état et com­ment l’hu­ma­ni­té a pu en arri­ver là, mais ça ne va pas plus loin.

En revanche, lorsque je vois une employée essayer de dis­cu­ter avec une poi­gnée de cadres qui n’ont même pas la décence de la regar­der, je n’ai pas là l’im­pres­sion qu’il s’a­gisse de l’é­ner­ve­ment de quelques cré­tins iso­lés ; j’ai plu­tôt le sen­ti­ment qu’une struc­ture a expli­ci­te­ment conseillé aux cadres de refu­ser tout dialogue.

Cette image-là est bien plus grave pour celle de votre entre­prise que celle de quelques exci­tés qui pètent les plombs. L’i­mage d’une entre­prise est bien plus véhi­cu­lée par ses cadres que par ses syn­di­ca­listes, et le com­por­te­ment des gens calmes a tou­jours beau­coup plus d’im­pact que celui des éner­vés. Lorsque des hommes en cos­tume, tran­quilles et dis­pos, finissent leur café entre eux en fai­sant comme si per­sonne ne leur par­lait, ils donnent l’i­mage d’une entre­prise gla­ciale qui n’a rien à faire de son per­son­nel. C’est bien plus dom­ma­geable qu’une poi­gnée d’é­ner­vés qui déchirent la che­mise d’un tiers — qui, eux, ne repré­sentent que les cons inca­pables de maî­tri­ser leurs nerfs et n’ont aucun impact sur l’i­mage de l’entreprise.

C’est d’au­tant plus dom­ma­geable que la réac­tion d’Air France ren­force le côté inhu­main qui appa­raît dans cette vidéo. Plu­tôt que de répondre aux ques­tions de cette per­sonne (efforts des employés, stag­na­tion des salaires, voire sim­ple­ment le fait de n’a­voir eu aucune réponse des gens à qui elle par­lait), vous avez pré­fé­ré vous fendre d’un cour­rier dédoua­nant l’en­tre­prise de choses qu’on ne lui a jamais repro­chées, avec une vidéo publi­ci­taire à la fin. Le fait est que, par cette réac­tion, vous avez pré­fé­ré la publi­ci­té au dia­logue, le com­mer­cial à l’hu­main, la com­mu­ni­ca­tion d’en­tre­prise à la com­mu­ni­ca­tion tout court. Air France a, elle-même, ren­for­cé la froi­deur et le refus du dia­logue qui res­sor­taient de cette vidéo.

air_france_noreply

Le comble ? Le cour­riel que vous avez envoyé n’ac­cepte pas de réponse. Quant à votre site inter­net, il pro­pose de vous contac­ter pour les pro­blèmes de navi­ga­tion sur le site, la vente, les inci­dents et récla­ma­tions, mais rien n’est pré­vu pour sim­ple­ment vous com­mu­ni­quer nos remarques. Au temps pour le dia­logue avec les clients…

J’au­rais aimé qu’Air France explique pour­quoi ses cadres ont ain­si, pen­dant trois minutes au moins, refu­sé toute dis­cus­sion avec une sala­riée qui, pour véhé­mente qu’elle fût, ne fai­sait que deman­der “de la consi­dé­ra­tion”. C’est beau­coup, beau­coup plus impor­tant que de savoir pour­quoi trois bas de pla­fond ont déchi­ré une chemise.

Parce que, en temps que client, la pro­ba­bi­li­té de me faire agres­ser par un cré­tin quel­conque est extrê­me­ment limi­tée, et j’au­rai tou­jours la pos­si­bi­li­té de lui en retour­ner une, d’ap­pe­ler à l’aide ou de par­tir en cou­rant. En revanche, dans le cas plus pro­bable où j’au­rais un pro­blème avec un ser­vice Air France qui ne puisse être sim­ple­ment réso­lu au comp­toir (ne serait-ce qu’un pro­blème de rou­tage de bagages ou de café ren­ver­sé par une tur­bu­lence), qui me dit que je ne serai pas accueilli par vos cadres, gla­ciaux et hau­tains, qui ignorent les gens qui leur parlent ?