La préférence nationale de Manuel Valls

Dis, Manu, tu te sou­viens de ce billet que j’a­vais écrit, déli­ca­te­ment inti­tu­lé “une blanche vaut six noirs” ?

Non, tu t’en sou­viens pas. Faut dire que tu ne me suis pas sur Twit­ter. C’est bal­lot, c’est pra­tique, Twit­ter, quand on veut par­ta­ger un billet ou publier un truc vite fait.

C’est d’au­tant plus bal­lot que si tu avais lu ce billet, tu aurais su qu’il y a des gens, dans ceux qui t’ont por­té au pou­voir, qui n’aiment pas qu’on déter­mine la valeur des morts par leur ori­gine. Je soup­çonne même qu’ils sont nom­breux, au Par­ti socia­liste, ceux qui pensent qu’une vie afri­caine a à peu près la même valeur qu’une vie européenne.

Si tu avais lu ce billet, au moment de publier un truc vite fait sur Twit­ter hier soir, tu aurais peut-être regar­dé ton cla­vier une seconde. Tu te serais dit “hey, est-ce que c’est vrai­ment ce que je veux dire ?” Et puis tu aurais sup­pri­mé un mot.

Tu ne vois pas de quoi je parle ? Allons, Manu, te fais pas plus bête que tu n’es.

Capture d'écran du tweet publié sur le compte officiel de Manuel Valls le 16 janvier 2016 à 18 h 47.
Cap­ture d’é­cran du tweet publié sur le compte offi­ciel de Manuel Valls le 16 jan­vier 2016 à 18 h 47.

Sur Twit­ter, on peut pas trop s’é­ta­ler, tu sais, Manu. Alors, quand on y écrit, la pre­mière chose qu’on apprend, c’est à pas mettre de mot qui ne soit pas essen­tiel : il risque de prendre de la place, laquelle man­que­rait pour d’autres mots, impor­tants, eux.

Alors, quand tu rajoutes “fran­çaises” après “vic­times”, on le remarque. On le remarque for­cé­ment. C’est dix carac­tères (onze en comp­tant l’es­pace), un qua­tor­zième du total per­mis pour un tweet.

Je pense qu’ils sont nom­breux, au Par­ti socia­liste, qui sont tristes pour toutes les vic­times, et qui pensent à toutes les familles de toutes les vic­times. Je pense qu’ils sont nom­breux à ne pas vou­loir faire de hié­rar­chie, à ne pas vou­loir se deman­der si elles sont fran­çaises, bur­ki­na­bées, ou autres. Je pense qu’ils sont nom­breux à pen­ser que ce sont des êtres humains, pas juste des res­sor­tis­sants de telle ou telle nation.

En tout cas, c’est mon cas.

On s’est jamais très bien enten­dus, toi et moi, mais jus­qu’i­ci, j’ac­cep­tais ta pré­sence dans ce par­ti, dont je suis proche au moins par les idées.

Mais là, tu dépasses les bornes. Ça te coû­te­rait quoi, d’é­tendre ta com­pas­sion à toutes les vic­times ? Ça te coû­te­rait tel­le­ment cher que tu prennes la peine de taper onze touches de plus pour pré­ci­ser la natio­na­li­té des vic­times qui comptent ?

Tu me diras peut-être que ce n’est pas toi qui l’as écrit, que tu as un “com­mu­ni­ty mana­ger” ou un sous-fifre quel­conque qui est là pour ça, tu essaie­ras peut-être de te dédoua­ner et de reje­ter la res­pon­sa­bi­li­té sur un fusible. Je m’en fous. C’est écrit sous ton nom, sur ton compte offi­ciel. À sup­po­ser même que tu ne l’aies pas écrit toi-même, c’est quel­qu’un à qui tu as don­né les clefs, à qui tu as don­né le pou­voir de par­ler pour toi. Tu es res­pon­sable de ce qu’il fait en ton nom.

Et là, ta parole, c’est une bouillasse immonde. La pré­fé­rence natio­nale en poli­tique, ça n’a jamais été mon truc ; dans la presse, elle m’é­nerve régu­liè­re­ment, à chaque fois qu’un confrère fait un décompte en sépa­rant les Fran­çais des autres victimes.

Mais toi, tu vas plus loin : les autres vic­times, tu les ignores déli­bé­ré­ment. En pré­ci­sant la natio­na­li­té, tu exclus expli­ci­te­ment les autres. Ce n’est même plus le “deux Fran­çais valent plus que vingt-sept étran­gers” qui m’a­gace dans la presse, non : ici, seules les vic­times fran­çaises comptent, seules leurs familles méritent ton soutien.

Eh, Manu, rentre chez toi, t’as d’la merde plein Twitter.