AG600 : les journalistes savent-ils lire ?

Hier, les Chi­nois ont publi­que­ment pré­sen­té le AG600. Der­rière ce nom d’ap­pa­reil pho­to se cache un nou­vel avion, cou­sin sur­di­men­sion­né des Cana­dair, ce qui per­met au Monde d’écrire :

La Chine a construit le plus gros hydra­vion du monde

et à RTL de préciser :

La Chine a construit le plus gros hydra­vion du monde, selon les médias officiels

Bien.

Le seul petit sou­ci, c’est que la pre­mière phrase est fausse : la Chine n’a pas construit le plus gros hydra­vion du monde. La seconde est dou­ble­ment fausse : les médias offi­ciels chi­nois n’ont jamais dit ça.

L'AG600, plus gros amphibie du monde. - photo Chine Nouvelle
L’AG600, plus gros amphi­bie du monde. — pho­to Chine Nouvelle

Regar­dez donc la dépêche de China.org :

L’AG600, le plus grand avion amphi­bie du monde, est chinois

et sur celle de l’a­gence Chine nou­velle, par exemple sur Chine Infor­ma­tions :

La Chine a ache­vé la pro­duc­tion d’un grand avion amphibie

Oui, vous avez sai­si le pro­blème : la Chine a fait le plus grand avion amphi­bie au monde (de jus­tesse), mais pas le plus grand hydra­vion (loin s’en faut).

Construit par Avic, l’AG600 fait, selon les infor­ma­tions com­mu­ni­quées, 53,5 tonnes au décol­lage, 40 m de lon­gueur, 40 m d’en­ver­gure, et peut embar­quer 50 passagers.

Des amphi­bies de dimen­sions com­pa­rables, il n’y en a pas des masses. Il y a son pré­dé­ces­seur, le Har­bin SH‑5 (45 t, 39 × 36 m), le concur­rent dési­gné Shin­May­wa US‑2 (43 t, 33 × 33 m, 31 occu­pants), le cas rare d’am­phi­bie à réac­tion Beriev Be-200 (41 t, 32 × 33 m, 46 occu­pants), et c’est à peu près tout. En com­pa­rai­son, un Bom­bar­dier 415 ne passe pas 20 tonnes, 20 m de lon­gueur, 29 m d’en­ver­gure, et ne peut empor­ter que 11 per­sonnes au maximum.

Note en pas­sant : j’ai mis de côté le Beriev A‑40, pro­to­type unique comme l’URSS les aimait, qui les écra­sait tous avec ses 86 t au décol­lage, ses 44 m de lon­gueur et ses 42 m d’en­ver­gure mais n’a jamais connu d’ap­pli­ca­tion pratique.

En revanche, tous les hydra­vions ne sont pas amphi­bies. Cer­tains ne sont capables d’o­pé­rer que depuis l’eau.

C’é­tait le cas du plus grand d’entre tous, le Hughes Her­cules, cité par Le Monde mais que je lais­se­rai de côté pour la même rai­son que le A‑40 : n’im­porte qui peut faire un pro­to­type unique. Il fai­sait tout de même 67 × 98 m et pesait jus­qu’à 180 tonnes — oui, ça calme, il faut dire qu’il était conçu pour trans­por­ter 750 sol­dats équi­pés sur un vol trans­at­lan­tique. Idem pour le Saun­ders-Roe Prin­cess (156 t, 45 × 67 m, pré­vu pour 105 pas­sa­gers en cabines) et le Blohm & Voss BV 238 (100 t, 43 × 60 m), dont un seul exem­plaire a pris l’air ; je mets aus­si de côté le Short Shet­land (57 t, 34 × 46 m), dont les deux exem­plaires étaient suf­fi­sam­ment dif­fé­rents pour être consi­dé­rés comme des pro­to­types et qui n’a jamais connu de ser­vice ni civil ni militaire.

En revanche, cer­tains de ces chars d’as­saut capables de flot­ter et de voler ont bel et bien été pro­duits en série et ont connu un ser­vice actif, quoique sou­vent peu durable.

Hawaii Mars II (C-FLYL), toujours en service, a fêté ses 70 ans. - photo Alex Juorio, CC-BY
Hawaii Mars II (C‑FLYL), tou­jours en ser­vice, a fêté ses 70 ans. — pho­to Alex Juo­rio, CC-BY

Sept Mar­tin Mars ont été construits, fai­sant dans les 74 tonnes au déjau­geage, mesu­rant 61 m d’en­ver­gure et 36 m de lon­gueur, capables de trans­por­ter 133 sol­dats à leur sor­tie ; recy­clés en bom­bar­diers d’eau, l’un d’entre eux est encore en ser­vice (on a pu le voir voler hier soir pour se rendre au fly-in d’O­sh­kosh). Quoi qu’il arrive, il res­te­ra encore long­temps le plus lourd bom­bar­dier d’eau capable d’é­co­per : avec 27 tonnes, sa capa­ci­té est plus du double de celle atten­due pour l’AG600. Le Laté­coère 631, construit à 10 exem­plaires, connut huit ans de ser­vice actif (et cinq acci­dents mor­tels) ; il pesait 71 t, mesu­rait 43 × 57 m, et était donc dans la même caté­go­rie que le Mars, quinze à vingt tonnes au des­sus de l’AG600.

Bref, des hydra­vions plus gros que l’AG600, ça n’est pas très dif­fi­cile à trou­ver : qua­si­ment tout le monde en a fait, et cer­tains ont été pro­duits en série et ont connu une vraie carrière.

Des amphi­bies de cette taille, en revanche, c’est rela­ti­ve­ment inédit, le seul pré­cé­dent étant res­té un pro­to­type unique sur­tout connu parce que Nico­las Hulot a pris la cuite de sa vie après l’a­voir piloté.

Mais il est vrai que la nuance entre “amphi­bie” et “hydra­vion” est ténue, sur­tout pour un jour­na­liste fran­çais qui sur­vole une dépêche chi­noise écrite en anglais, sans réflé­chir au sens des mots qu’il lit…