5000 habitants

5000 habi­tants. C’est ce qu’il fau­drait, selon l’au­teur d’une étude de l’As­so­cia­tion des Maires de France, pour qu’une muni­ci­pa­li­té puisse fonc­tion­ner ; il prône en tout cas la fusion de com­munes pour créer des ensembles attei­gnant ce plan­cher. C’est là, dans un article du Monde.

Évi­dem­ment, j’ai tout de suite pen­sé à la région où mes parents habitent. Là, comme ça, au débot­té, je me suis deman­dé si ça serait seule­ment pos­sible, d’y faire une com­mune de 5000 habitants.

Mes parents habitent à Val-Mara­vel, dans la com­mu­nau­té de com­munes du Diois. Celle-ci compte 51 com­munes et… 11 000 habi­tants, à la louche. On y ferait donc au maxi­mum deux communes.

Com­ment donc regrou­per les com­munes exis­tantes ? Pour bien sai­sir le pro­blème, je vous les ai colo­rées val­lée par val­lée. En gros, les com­munes d’une même cou­leur com­mu­niquent assez aisé­ment, mais il faut par­fois faire de très grands détours pour pas­ser d’une cou­leur à l’autre. Notez que le vert bien pétant, c’est Val-Mara­vel, c’est une petite coquet­te­rie per­son­nelle mais c’est du jaune en vrai (y’a une route tout à fait fré­quen­table jus­qu’à Beau­rières, où passe la grand-route de Valence aux Hautes-Alpes).

Com­munes de la Drôme (carte de Poul­py, CC-BY-SA), avec la com­mu­nau­té de com­munes du Diois en cou­leurs et Paris en incrus­ta­tion à la même échelle.

Ça fait donc des séries inévi­tables si on veut regrou­per les com­munes. Le jaune (et donc le vert pétant), c’est le haut de la val­lée de la Drôme et celle du Mara­vel. Le bourg-centre serait for­cé­ment Luc-en-Diois (en plus clair) qui, avec ses 400 habi­tants, domine très lar­ge­ment les autres com­munes. L’en­semble fait envi­ron… 1500 habi­tants. Ajou­tons la val­lée de Poyols à Esta­blet (jaune oran­gé), cinq com­munes dont la plus peu­plée a 70 habi­tants, et on arrive à 1776 d’a­près le recen­se­ment de 2014. Bon, on veut plus du double pour notre nou­velle com­mune, donc il va fal­loir élargir.

D’un côté, on a le bloc vio­let, la val­lée du Désert. Là aus­si, une com­mune domine : La Motte-Cha­lan­con, un gros 400 habi­tants. L’en­semble fait… 800 habi­tants. Ça n’est pas encore suf­fi­sant ? Certes, mais ça n’est pas le seul pro­blème : il n’y a qu’un seul et unique accès gou­dron­né entre le bloc jaune et le bloc vio­let, le col de Pennes, tout au nord. Et en véri­té, on n’y passe qu’a­vec une petite voi­ture et un gros opti­misme — la route est par­tiel­le­ment en cor­niche, par­tout étroite et tor­due, elle n’offre nulle part une visi­bi­li­té à plus de deux cents mètres, et la neige y est une option gra­tuite livrée aléa­toi­re­ment tous les hivers. On peut éga­le­ment pas­ser au sud, mais ça n’est qu’à peine moins mal­pra­tique et il faut sor­tir briè­ve­ment de la com­mu­nau­té de com­munes du Diois. En fait, le véri­table accès à la val­lée du Désert est au nord, là où elle débouche sur celle de la Drôme en tra­ver­sant trois com­munes qui ne font pas par­tie de la com­mu­nau­té. Mal­gré la proxi­mi­té géo­gra­phique, la val­lée du Désert com­mu­nique plus faci­le­ment avec Die qu’a­vec Luc-en-Diois.

De l’autre côté, on a le bleu, un grand V avec d’une part la route menant au col de Gri­mone et à Lus-la-Croix-Haute (qui n’a rien à foutre dans la Drôme, étant bien plus acces­sible depuis l’I­sère comme depuis les Hautes-Alpes, mais qui y est rat­ta­chée pour des rai­sons his­to­riques obs­cures) et d’autre part celle menant au col de Menée. Le point cen­tral (bleu clair, vous com­men­cez à sai­sir le prin­cipe), c’est Châ­tillon-en-Diois, 550 habi­tants. Si on compte les 540 exi­lés de Lus (et on n’a guère le choix), l’en­semble fait 1900 habi­tants. La bonne nou­velle, c’est qu’il y a une route presque directe entre Châ­tillon et Luc : côté val­lée, le regrou­pe­ment des bourgs-centres pas­se­rait sans pro­blème. La mau­vaise, c’est que dès qu’on remonte, on se retrouve avec des zones sans aucun lien : pour pas­ser de Boulc (sec­teur bleu) à Val-Mara­vel (vert dans le jaune), il faut un excellent tout-ter­rain, un bon conduc­teur et beau­coup de patience — ou plus sim­ple­ment refaire tout le tour presque jus­qu’à Luc.

Et vous vou­lez rigo­ler ? Dans cet ensemble hété­ro­clite qu’il faut plus d’une heure et demie de route pour tra­ver­ser (et en hiver, ça va vous prendre la jour­née), on n’a encore que 4500 habitants.

Parce qu’en fait, Die (en rouge) fait déjà près de 5000 habi­tants. Si on ajoute les com­munes du cirque de Quint et leurs voi­sines (vert), les contre­forts du Ver­cors (les deux orange au nord) et les autres qui dépendent de toute évi­dence de Die et qu’on ne va sans doute pas regrou­per avec autre chose (orange), on a une com­mune rela­ti­ve­ment cohé­rente, d’une demi-heure de route de dia­mètre et de 7000 habitants.

Si on veut vrai­ment faire un décou­page où la com­mune unique du Haut-Diois et du Désert dépas­se­rait les 5000 habi­tants, il fau­drait y inté­grer les presque 500 habi­tants de Solaure-en-Diois, qui touche Die. Ça serait abso­lu­ment ridicule.

Iti­né­raires Google de Die à Volvent. Celui recom­man­dé fait sor­tir de la com­mu­nau­té de com­munes ; l’al­ter­na­tive courte passe par un col que je vous recom­mande si vous aimez les virages et le vide.

Ou alors, il fau­drait faire une com­mune unique de 11000 habi­tants. Celle-ci pour­rait ain­si s’e­nor­gueillir d’a­voir une poi­gnée d’é­coles, un col­lège, un lycée et un hôpi­tal. Mais elle pour­rait éga­le­ment être fière d’a­voir une mai­rie à plus d’une heure de route (encore une fois : par beau temps !) de cer­tains admi­nis­trés, ladite route impo­sant d’ailleurs de sor­tir de la com­mune ou de pas­ser un col que les autoch­tones évitent comme la peste.

Bref, tout ça pour dire, en me basant sur un cas concret que je connais bien, que vou­loir faire des com­munes d’une popu­la­tion don­née est d’une cré­ti­ne­rie abso­lue. Qu’on veuille réunir des bourgs proches voire déjà en contact peut être sen­sé, et il ne serait effec­ti­ve­ment pas absurde que Die fusionne avec quelques voi­sines, par exemple. Mais dès qu’on monte dans les val­lées, les com­munes cor­res­pondent à des limites géo­gra­phiques réelles, encore dif­fi­ci­le­ment fran­chis­sables : dans le meilleur des cas, elles sont dis­sé­mi­nées avec une mai­rie tous les huit-dix bornes le long d’une route et les fusion­ner pose seule­ment un pro­blème de temps de par­cours ; mais par­fois elles sont car­ré­ment iso­lées et vivaient en qua­si-autar­cie jus­qu’au per­ce­ment d’un tun­nel sous une mon­tagne. Dans ces coins-là, on peut jouer à faire une seule com­mune, mais soit il fau­dra quand même lais­ser une annexe de mai­rie à chaque vil­lage et ça ne fera pas faire les éco­no­mies pro­mises, soit il fau­dra expli­quer aux gens qu’ils vont se taper deux heures de route pour aller voter et on va s’é­ton­ner de voir le taux de par­ti­ci­pa­tion s’effondrer.