Sites de rencontres pro : méfiance !

Récem­ment, un poten­tiel client m’a deman­dé de créer un compte sur un site des­ti­né à mettre en rela­tion auteurs (rédac­teurs, pho­to­graphes, SR, …) et édi­teurs. Je sais que per­sonne ne lit les condi­tions géné­rales d’u­ti­li­sa­tion de Face­book, ni celles de Google ; mais là, il y a du tra­vail, de la répu­ta­tion pro­fes­sion­nelle et de l’argent en jeu. Du coup, je les ai lues avant de m’inscrire.

J’ai bien fait : c’é­tait édifiant.

Mon objec­tif n’est pas de des­cendre le site en ques­tion ; j’i­ma­gine volon­tiers que d’autres ont des CGU simi­laires. Mais j’ai autre chose à faire que com­pa­rer les infor­ma­tions légales de vingt-deux sites de ren­contres pro­fes­sion­nelles, donc je vais juste prendre pour exemple celles de cet entre­met­teur. Et his­toire qu’il ne paie pas pour les autres, je mas­que­rai son nom.

Vous êtes un auteur

Rien à signa­ler ici, sinon qu’il est clai­re­ment dit que l’ob­jet du site est une ces­sion de droits d’au­teur. Ça sera impor­tant plus loin.

Ça, c’est juste pour le plai­sir de dire que 1) “rédac­tion­nel” est un adjec­tif, pas un nom com­mun ; 2) son uti­li­sa­tion comme sub­stan­tif, quoi­qu’ab­sente des dic­tion­naires sérieux, est admise dans le Larousse… exclu­si­ve­ment dans le domaine de la publi­ci­té. Réduire la rédac­tion à la four­ni­ture de conte­nu publi­ci­taire, c’est beau.

Site réservé aux propriétaires

Non, petits coquins, je n’a­joute pas ça pour signa­ler que “visuel”, au contraire, est uti­li­sé de longue date comme nom com­mun pour dési­gner des­sins, motifs et illus­tra­tions, tout “ce qui s’a­dresse à la vue” selon le TLF.

En fait, je vous mets ça là pour vous mon­trer le soin appor­té à la rédac­tion de ces CGU : dans l’es­prit du site, je sup­pose que ça veut dire que le pho­to­graphe four­nit le maté­riel néces­saire à la prise de vue, le client ne four­nis­sant que le sujet à pho­to­gra­phier. Mais tel que c’est rédi­gé, ça signi­fie que le pho­to­graphe doit être pro­prié­taire de la tota­li­té du maté­riel uti­li­sé. Impos­sible de louer un éclai­rage ou un objec­tif par­ti­cu­lier parce que vous avez une com­mande à laquelle il sera utile : ce ne serait pas votre propre maté­riel, mais celui du loueur.

La même condi­tion est évi­dem­ment impo­sée aux vidéo­graphes, de manière peut-être encore plus ridi­cule (la loca­tion de maté­riel spé­ci­fique est extrê­me­ment cou­rante dans les stu­dios vidéo).

Vous êtes auteur, nous gardons les droits

Bon, tout ça, c’est amu­sant, mais sans plus. Pas­sons aux choses sérieuses :

Petit rap­pel : on parle bien de droit d’auteur.

Celui-là, je vous le mets en inté­gra­li­té, parce qu’il est fondamental.

D’a­bord, sym­bo­li­que­ment, vous voyez que la pre­mière ces­sion de droits n’est pas de l’au­teur au client contre rému­né­ra­tion ; elle est de l’au­teur à l’en­tre­met­teur et gratuite.

Mais sur­tout, le site char­gé de mettre en rela­tion auteurs et clients s’ap­pro­prie ici l’in­té­gra­li­té du conte­nu, et se donne le droit d’en faire ce qu’il veut tant que c’est pour sa pub.

Auteurs, vous pen­sez que le site va pou­voir uti­li­ser un extrait de votre texte ou une minia­ture de votre illus­tra­tion par­mi d’autres pour une pub ? Non. Pour cela, le droit de cita­tion suf­fi­rait. Ici, le site peut dif­fu­ser la tota­li­té du texte, la ver­sion haute défi­ni­tion de l’illus­tra­tion, les modi­fier gros­so modo comme il veut, le dif­fu­ser où et quand il veut jus­qu’à 70 ans après votre mort.

Clients, vous pen­siez avoir ache­té un conte­nu pour votre usage per­son­nel et unique ? Non. Vous avez payé un droit d’ex­ploi­ta­tion ponc­tuel, mais le vrai pro­prié­taire est le site, qui peut dif­fu­ser les œuvres que vous avez finan­cées selon son bon vou­loir et sans que vous ayez rien à redire.

C’est à cet article qu’une alarme rouge s’est mise à cli­gno­ter sur mon tableau de bord interne, mais j’ai conti­nué la lecture.

J’ai bien fait, parce que comme j’ai raté le “nos mômans s’ap­pellent Mar­tha” en sor­tant trop tôt de Bat­man v Super­man, arrê­ter là m’au­rait fait man­quer les articles les plus exci­tants. Voyez plutôt :

Au fait, vous n’êtes pas auteur

Hein ? Quoi quoi quoi ? Fac­ture ?

Je croyais qu’on par­lait de ces­sion de droits d’auteur ?

Et bien non !

C’est là que mon alarme interne est pas­sée de “ça pue un peu” à “c’est quoi cette arnaque ?”

Rap­pel : une ces­sion de droits d’au­teur ne donne jamais le droit de faire ce qu’on veut d’une œuvre. Les droits dits moraux sont impres­crip­tibles et inalié­nables : une œuvre reste la vôtre quoi qu’il arrive, en ce que per­sonne ne peut pré­tendre qu’elle soit de lui et que per­sonne ne peut la déna­tu­rer. Ce ne sont que les droits patri­mo­niaux (exploi­ta­tion, dif­fu­sion, tra­duc­tion, adap­ta­tion, etc.) qui sont cédés.

En outre, une ces­sion de droits d’au­teur com­porte cer­taines coti­sa­tions sociales, les auteurs ayant droit à une (maigre) retraite et à une (hypo­thé­tique) cou­ver­ture sociale.

Le pas­sage par la fac­tu­ra­tion a une consé­quence : le four­nis­seur de conte­nus n’est plus un auteur, mais un pres­ta­taire. Le site n’a ain­si aucune coti­sa­tion sociale à ver­ser, le pres­ta­taire devant gérer lui-même les coti­sa­tions Urs­saf, RSI et autres.

(Je change de docu­ment une seconde :

Ça n’est pas dans les CGU, mais dans la FAQ. Les trois pre­miers mots devraient vous faire bon­dir : “free­lance” n’est pas un sta­tut. Un “free­lance”, léga­le­ment, est une entre­prise indi­vi­duelle libé­rale, une microen­tre­prise, une EIRL, un membre d’une socié­té civile libé­rale ou pro­fes­sion­nelle… Cette rédac­tion ten­dan­cieuse vise au mieux à faire pas­ser la pilule en fai­sant croire aux aspi­rants auteurs qu’ils ne sont pas obli­gés de mon­ter ou rejoindre une entre­prise, au pire à faire bos­ser des par­ti­cu­liers peu au fait de la Loi qui émet­tront de bonne foi des fac­tures illégales.

Fin de la paren­thèse, retour­nons donc aux CGU.)

L’administration, c’est pas notre problème

Ah ben tiens, tu m’é­tonnes ! “Bon, alors vous êtes auteur, mais en fait non, donc débrouillez-vous avec l’ad­mi­nis­tra­tion, on s’en lave les mains.”

J’exa­gère un peu : la fin du même article ren­voie expli­ci­te­ment vers le por­tail des micro-entre­pre­neurs. Si comme moi vous y avez déjà goû­té, vous savez que pour un bou­lot ponc­tuel de quelques cen­taines d’eu­ros, ça ne vaut clai­re­ment pas la prise de tête des démarches.

Ah c’est inté­res­sant ça tiens. Je sup­pose qu’il manque un mot mais, telle que cette clause est rédi­gée, elle déclare par avance que si le contrat est mal exé­cu­té, c’est for­cé­ment de la faute de l’au­teur ou un cas de force majeure.

On ne vous doit rien

Ça n’est pas le seul point où le site se dédouane de tout : il n’est pas res­pon­sable des pannes de son ser­veur, il n’est pas res­pon­sable en cas d’in­fec­tion virale, d’a­no­ma­lie ou de défaillance des sys­tèmes, et…

Voi­là. “Vous pou­vez perdre de l’argent, des mar­chés, des clients, on s’en lave les mains.”

Mais ça n’est même pas le plus beau, le meilleur est à la fin :

Oui, vous avez bien lu.

Ima­gi­nons que vous ayez un pro­blème majeur, dû à l’en­tre­met­teur, avant le pre­mier paie­ment : il est expres­sé­ment conve­nu que vous ne tou­che­rez rien, quel que soit votre pré­ju­dice et quelle que soit sa responsabilité.

Soyons joueurs, ima­gi­nons que jus­te­ment le site soit en défaut de paie­ment, et que vous l’at­ta­quiez pour cette rai­son : c’est jus­te­ment parce qu’il ne vous aura pas payé qu’il n’au­ra pas à vous payer !

Évi­dem­ment, mes inter­pré­ta­tions sont extrêmes. Mais les conflits fon­dés sur les CGU viennent jus­te­ment sou­vent de situa­tions imprévues.

Et là, si je résume les CGU du site, c’est :

Vous êtes auteur, mais on garde les droits, on vous paie comme pres­ta­taire, et pour le reste débrouillez-vous, on ne s’en­gage à rien, on se dédouane par avance de tout.

Si ça vous ins­pire confiance, c’est que vous êtes encore plus naïf que moi.

Bonus : pour la sécurité, cf. articles précédents

His­toire de rigo­ler une seconde, il faut éga­le­ment noter que ce site n’est pas sécu­ri­sé. Petit rap­pel sup­plé­men­taire : ne créez jamais de compte sur un tel site.

JA-MAIS.

Le comble : il y a bien une ver­sion acces­sible en HTTPS, mais le site n’y redi­rige pas si on n’a pas le réflexe de spé­ci­fier manuel­le­ment le pro­to­cole dans la barre d’adresse.

Le pré­sent blog, que vous lisez en ce moment, qui est sur un héber­ge­ment mutua­li­sé à pas cher et qui ne contient pas de don­nées vrai­ment sen­sibles, pro­pose du HTTPS et y redi­rige les dis­traits qui demandent du HTTP.

Un site à voca­tion pro­fes­sion­nelle moins sécu­ri­sé que le mien, c’est énorme.

Il va de soi que j’ai dit à mon poten­tiel client de cher­cher une autre plate-forme ou de me contac­ter direc­te­ment, mais qu’en tout cas je ne pas­se­rais pas par cet inter­mé­diaire. Tra­vailleurs indé­pen­dants comme clients de tra­vailleurs indé­pen­dants, je n’ai qu’un conseil : lisez les CGU des sites aux­quels vous adhé­rez et, si elles contiennent des clauses aus­si floues ou ten­dan­cieuses, fuyez-les. Il doit bien y en avoir d’hon­nêtes et res­pon­sables et, dans le cas contraire, contac­tez-vous direc­te­ment : après tout, les “cir­cuits courts” sont à la mode…