J’aime tout le monde (sauf Marine)

C’est le résul­tat, amu­sant et éton­nant, d’un (très long) ques­tion­naire que m’a filé Ghusse, le “com­pa­rac­teur”, que je vous invite à ten­ter si par hasard vous ne savez pas quoi faire ce week-end (vous ai-je dit qu’il était un peu long ?).

L’i­dée, c’est de vous four­nir un lot de pro­po­si­tions (il n’y en a que 474 à l’heure où j’é­cris) tirées des décla­ra­tions et pro­grammes des can­di­dats à l’é­lec­tion pré­si­den­tielle, et vous faire dire pour cha­cune si vous êtes fran­che­ment contre, plu­tôt contre, neutre, plu­tôt pour ou fran­che­ment pour.

L’in­té­rêt, c’est ain­si de sépa­rer clai­re­ment les idées de ceux qui les portent. Un cer­tain nombre de pro­po­si­tions très proches, sinon iden­tiques, sont d’ailleurs lis­tées, ce qui fait que par­fois, même en s’y inté­res­sant, il n’est pas évident de savoir qui a dit quoi — bon, on recon­naît tout de même l’i­ni­mi­table patte de Che­mi­nade par moments, comme lors­qu’on tombe sur la pro­po­si­tion qui tue : “Adop­ter l’eu­ro-franc poly­tech­nique auprès duquel coha­bi­te­raient dif­fé­rents euros natio­naux.” Ain­si, ce sont vrai­ment des pro­grammes et non des gens que l’on exa­mine, ce qui per­met d’é­li­mi­ner un peu les idées reçues qu’on peut avoir sur tel ou tel candidat.

Le résul­tat mathé­ma­tique est inté­res­sant, du moins en ce qui me concerne.

La pre­mière sur­prise, c’est que, aus­si cri­tique que je puisse être, rares sont les can­di­dats qui arrivent dans le rouge. En fait, il n’y a que Marine le Pen qui réus­sisse à me faire don­ner plus de points néga­tifs que de points posi­tifs à son ensemble de pro­po­si­tions : même si Nico­las Sar­ko­zy n’est pas loin devant, ça suf­fit pour qu’il se retrouve dans le positif.

C’est en fait logique : sur 474 pro­po­si­tions, j’ai voté contre 78 et pour 211. Glo­ba­le­ment, je serais donc plu­tôt posi­tif, comme gars.

Au delà de la bou­tade, cela peut déno­ter deux choses : tout d’a­bord, un manque de dis­cer­ne­ment et d’es­prit cri­tique qui me pous­se­rait à ava­ler n’im­porte quelle cou­leuvre ; ensuite, une volon­té d’es­sayer des poli­tiques qui n’au­raient pas encore été ten­tées. Je serais plus enclin à favo­ri­ser le chan­ge­ment plu­tôt que le sta­tu quo, à expé­ri­men­ter, à ne pas me conten­ter poli­ti­que­ment de ce qu’on a. En fait, c’est peut-être para­doxa­le­ment parce que je suis très cri­tique sur l’é­tat actuel des choses que je serais plus ouvert à toute pro­po­si­tion dif­fé­rente. J’ai conscience que c’est le genre de sen­ti­ment qui pousse natu­rel­le­ment à voter aux extrêmes ou pour n’im­porte qui, mais appa­rem­ment j’ai encore un peu de marge.

Il faut éga­le­ment noter une ten­dance de fond chez moi : je ne me dresse pas vio­lem­ment contre un peu d’in­con­fort. Le libel­lé “jamais de la vie” du choix le plus néga­tif a sans doute ren­for­cé cette ten­dance : je ne l’ai attri­bué qu’à des pro­po­si­tions qui me révulsent, comme la cho­rale obli­ga­toire, le retour de la peine capi­tale, le dérem­bour­se­ment des IVG, l’op­po­si­tion à l’a­dop­tion par les couples de même sexe et au regrou­pe­ment fami­lial, la pré­fé­rence natio­nale, le démon­tage de l’U­nion euro­péenne, la sup­pres­sion du Conseil consti­tu­tion­nel, et sur­tout l’é­tat d’ur­gence cher à Che­mi­nade qui, à lui seul, fait que je ne vote­rai jamais pour ce dan­ge­reux maniaque (et s’il n’y avait que ça…).

Il y a donc des mesures aux­quelles je suis fer­me­ment oppo­sé, comme l’u­ti­li­sa­tion obli­ga­toire de la méthode syl­la­bique pour l’ap­pren­tis­sage de la lec­tu­re¹, pour les­quelles j’ai coché “plu­tôt contre” parce que, même si je les consi­dère comme par­ti­cu­liè­re­ment cré­tines et contre-pro­duc­tives, ce ne sont pas des répul­sifs absolus.

Le deuxième truc inté­res­sant, c’est l’é­qui­té des résul­tats : je suis éco­lo-socia­liste, à quelques gros détails près. J’au­rais une affi­ni­té de l’ordre de 32 % avec Joly et 29 % avec Hol­lande, ce qui est logique, mais aus­si 24 % avec Bay­rou, 17 % avec Mélen­chon et 16 % avec Pou­tou. Ce n’est qu’en­suite que viennent les vrais décrochés.

Cette équi­té explique sans doute ma bonne volon­té à l’heure de par­ler poli­tique, au contraire de nombre de gens de mon envi­ron­ne­ment : je suis rai­son­na­ble­ment cer­tain de ne jamais m’en­gueu­ler avec quel­qu’un d’in­tel­li­gent sur ce genre de sujets. Sans aller jus­qu’à dire que je suis d’ac­cord avec tout le monde, j’ai ten­dance à accep­ter les argu­ments même de cer­tains néo-libé­raux² (j’ai tou­jours du mal avec les natio­na­listes, par contre), quitte à expri­mer un désac­cord poli.

Elle explique sur­tout mon appro­ba­tion his­to­rique de cer­tains dis­cours, notam­ment de Bay­rou et Hulot, qui sou­hai­taient recru­ter un peu par­tout pour for­mer leurs équipes sur la base de la bonne volon­té plu­tôt que sur celle de la doc­trine. Je ne crois pas qu’un camp ait tout bon et l’autre tout mau­vais, et je crois que les dogmes sont nui­sibles par essence (d’ailleurs, je fais un métier où le seul dogme est de remettre en cause toute affir­ma­tion péremptoire).

La troi­sième remarque que je me fais, c’est que l’af­fi­ni­té ain­si cal­cu­lée ne prend pas en compte les cri­tères éli­mi­na­toires. Par exemple, pro­mul­guer l’é­tat d’ur­gence dans la situa­tion actuelle du pays, alors que rien ne le jus­ti­fie hor­mis dans les délires d’un taré, c’est niet : Che­mi­nade pour­rait être à 100 % d’ac­cord avec moi sur le reste, il serait tout de même éli­mi­né par cette proposition.

Du coup, le clas­se­ment par votes “jamais de la vie” est peut-être plus par­lant : 12 pour le Pen, 6 pour Che­mi­nade, 3 pour Pou­tou et Dupont-Aignan, 1 pour Sarkozy.³

Ça cor­res­pond assez bien à mon clas­se­ment interne. Le cas de Pou­tou est inté­res­sant : je n’ai jamais envi­sa­gé de voter pour ce can­di­dat, qui est pour­tant l’hé­ri­tier logique de celui pour lequel j’ai voté en 2002 et alors que j’au­rais avec lui une affi­ni­té glo­bale lar­ge­ment supé­rieure à celle d’Ar­thaud. Il y a trois énor­mi­tés qui font office d’é­pou­van­tail dans ses pro­po­si­tions : la sup­pres­sion du Conseil consti­tu­tion­nel (garant ultime de la Consti­tu­tion en France), la volon­té de sup­pri­mer la Cour de jus­tice et la Banque cen­trale de l’U­nion euro­péenne (ce qui revien­drait à renon­cer à la construc­tion euro­péenne) et sur­tout l’an­nu­la­tion uni­la­té­rale de la dette publique fran­çaise (si l’É­tat lui-même n’as­sume pas ses dettes, il n’y a pas besoin d’être un grand libé­ral pour com­prendre que tout créan­cier s’en reti­re­ra défi­ni­ti­ve­ment et que la faillite sui­vra dans les mois qui suivent). Du coup, même si glo­ba­le­ment je suis assez d’ac­cord avec pas mal de choses qu’il pro­pose, Pou­tou est irré­mé­dia­ble­ment éliminé.

En fait, dans ma tête aus­si, il y a deux tours : le pre­mier est uni­que­ment concen­tré sur les cri­tères éli­mi­na­toires, le second dépar­tage ceux qui res­tent. En somme, je suis plus atta­ché au rejet d’une idée à la con qu’au sou­tien de vingt bonnes idées — quelque part, ça me conforte dans l’i­dée que j’ai ten­dance à faire pas­ser l’é­thique avant l’in­té­rêt. Ça explique peut-être aus­si ma réti­cence à voter “jamais de la vie” : si j’at­tri­buais ce label plus faci­le­ment, je ris­que­rais de n’a­voir plus aucun can­di­dat au second tour.

Au final, ce très long test n’ap­porte pas de réelle sur­prise, sinon de me décou­vrir une cer­taine ten­dance à posi­ti­ver. Il per­met tout de même d’a­voir une vision d’en­semble des choses pour faire une sorte de bilan d’é­tape, tou­jours utile par les temps qui courent.

¹ Je ne suis pas oppo­sé à la méthode syl­la­bique en soi. Mais comme toute méthode d’en­sei­gne­ment, elle doit être uti­li­sée à bon escient en l’a­dap­tant au cas de chaque gosse. Cer­tains enfants sont très “glo­baux”, d’autres apprennent mieux son par son, d’autres enfin répondent bien à l’u­ni­té syl­la­bique. Aucune de ces méthodes n’est intrin­sè­que­ment meilleure, et uti­li­ser l’une obli­ga­toi­re­ment revient à nier l’in­di­vi­dua­li­té de chaque enfant, ce qui est une conne­rie crasse. Au pas­sage, c’est une qua­li­té essen­tielle pour un ensei­gnant que de savoir chan­ger son fusil d’é­paule pour s’a­dap­ter à l’é­lève auquel il parle.

² J’ai bien par­lé de gens intel­li­gents, donc j’ex­clus d’of­fice ceux qui en sont res­tés à Say et Smith comme si ni Keynes ni la crise de 29 n’a­vaient démon­tré défi­ni­ti­ve­ment l’i­na­ni­té de leurs théo­ries. Oui, Deved­jian, cré­tin fini, je parle encore de toi, qui osais encore pré­tendre il y a quelques années que la relance de la pro­duc­tion crée­rait de la demande et qu’il fal­lait s’oc­cu­per de favo­ri­ser les entre­prises plu­tôt que de répar­tir les richesses pour que les moins riches puissent consommer.

³ Sur 474 ques­tions, il fal­lait bien que je fasse une conne­rie : non, je suis pas radi­ca­le­ment oppo­sé à la “sup­pres­sion des exo­né­ra­tions de coti­sa­tions sociales patro­nales”, en fait je suis même plu­tôt fran­che­ment pour. Mais la ques­tion est libel­lée de telle façon que même main­te­nant, je dois la lire deux fois pour la com­prendre : pour­quoi donc ne pas avoir mar­qué “res­tau­ra­tion des coti­sa­tions sociales patronales” ?