Le sommet des Dieux
|de Jirō Taniguchi, d’après Yumemakura Baku, ****
Début des années 90. Après une expédition ratée sur l’Everest, Fukamachi, un jeune photographe, traîne quelques jours à Katmandou en attendant de rentrer au Japon, comme les quatre autres survivants. En traînant dans les rues, il finit par tomber sur un appareil photo Kodak fabriqué en 1923, identique à celui que portaient Mallory et Irvine lors de leur disparition en 1924. Un appareil dont la pellicule pourrait donner enfin la réponse à cette question : ont-ils disparu à la montée ou à la descente, Norgay et Hillary ne seraient-ils que seconds ?
Recherchant celui qui aurait trouvé cet appareil, il tombe sur un ours bourru qui lui dit d’oublier toute l’affaire — un ours que, il en est convaincu, il connaît… Ne serait-ce pas Jōji Habu, un alpiniste qui écrivit quelques-unes des plus belles pages de l’alpinisme en solo au Japon ?
De retour au Japon, Fukamachi par alors sur les traces de Habu, et de son alter ego Tsuneo Hase, deux hommes que tout oppose et que tout rassemble, deux maniaques de la montagne pour qui elle est tout, pour qui seule compte l’ascension inédite, des spécialistes des premières hivernales solitaires. «À quoi ça sert de passer là où tout le monde l’a fait et si on est sûr de redescendre ?»
Hase est mort en tentant d’ouvrir la face sud-ouest de l’Everest ; Habu avait disparu peu avant et personne ne l’avait revu… Jusqu’à l’ours croisé par Fukamachi à Katmandou, l’ours qui avait retrouvé le Kodak.
Conclusion : si Habu est encore en vie, il grimpe toujours. Fukamachi repart au Népal pour tenter de retrouver l’alpiniste et, qui sait, l’appareil photo. Habu est bien là, installé clandestinement parmi les sherpas, profitant de ses missions auprès des cordées étrangères pour parfaire sa connaissance de l’Everest, en vue d’un dernier défi : ouvrir en hivernale et en solitaire la face sud-ouest, celle qui coûta la vie à son meilleur ennemi.
Taniguchi est un type bizarre, d’un trait toujours élégant, capable de nous raconter des histoires intimistes de gens ordinaires (Le journal de mon père ou L’orme du Caucase) avec la même joie qu’une aventure épique qui, tout en retraçant vingt ans d’alpinisme japonais, vous présentera de vrais héros comme on les aime.
Ici, toujours classe, avec son dessin toujours aussi sublime, il vous entraîne tout à la fois dans une aventure policière et dans un récit de montagne digne de Frison-Roche ou de Rébuffat. Avec un vrai soucis réaliste, notamment dans l’utilisation du matériel et dans le dessin des montagnes, une histoire prenante, superbe, qui vous fera vibrer, geler, vomir de vertige et pleurer de douleur.
«À partir d’un certain âge, tout alpiniste a vu disparaître un de ses camarades.» Et pourtant, ils y retournent, encore et toujours.
En me refaisant l’intégrale trois ans après, je me suis rendu compte qu’il y avait certains aspects que j’avais zappé. À voir ici.