Salut mec. Tu me reconnais ?

Quoi, non ?

Ben, je t’ai créé. Enfin, pas direc­te­ment. Il y a un bon bout de temps, j’ai créé l’u­ni­vers dans lequel tu es apparu.

Voi­là, Dieu, si on veut. On a qu’à dire ça.

Oui, je sais, c’est le bor­del. Non, j’en suis pas fier.

Oui, tu as le droit de m’in­sul­ter. Après tout, j’y suis pour quelque chose, je sup­pose. Enfin, je l’ai pas vrai­ment fait exprès, hein…

Quoi, tu crois que j’ai contrô­lé quelque chose ? Bon sang, ça s’ar­range pas, chez vous. Je pen­sais que vous aviez com­pris… Sur­tout que Doug l’a bien dit : le sens de l’u­ni­vers se résume à 6 x 9 = 42.

Je ne contrôle rien. Voi­là, c’est dit.

Si je contrô­lais quelque chose, vous n’exis­te­riez même pas. Tu crois que les gars de Tcher­no­byl contrô­laient quelque chose ? Ouais, moi, c’est pareil.

D’ailleurs, j’ai de bonnes rai­sons de pen­ser que pour cer­tains, l’ex­plo­sion de Tcher­no­byl a duré quelques mil­liards d’années.

Oui, j’ai en ce moment même un labo qui est en train de péter sous mes pieds. Non, je sais pas si je vais m’en tirer.

Okay, je vais reprendre depuis le début alors…

Il y a deux jours — deux de mes jours –, j’ai pré­pa­ré une expé­rience scien­ti­fique. Chez moi, je suis plu­tôt connu. Je tra­vaille sur les irra­dia­tions, t’en as enten­du parler ?

Donc, là, je tra­vaillais sur un stock d’U­ra­nium. Enfin, pas de l’U­ra­nium, bien sûr, mais ce qui, à mon échelle, s’en rap­proche le plus.

Et com­ment dire ?, ça m’a pété entre les doigts. Enfin, c’est en train de me péter entre les doigts.

La réac­tion s’est embal­lée il y a une demi-seconde pour moi. Pour vous, ça doit faire dans les dix-sept mil­liards d’an­nées, je crois.

Ben quoi ? Je sais bien que tu t’es tou­jours pré­ten­du agnos­tique, mais je sais aus­si qu’au fond, ça te tra­vaille, cette his­toire de créa­tion de l’u­ni­vers. Tu t’es tou­jours deman­dé ce qui a fait qu’à un moment don­né, le Big Bang a com­men­cé. Et je sais que tu es assez calme pour m’é­cou­ter jus­qu’au bout. Et puis, tu n’as pas le choix : je peux te par­ler où que tu sois.

Oui, je sais, tu t’at­ten­dais plu­tôt à ce que je parle à un pape ou un type du genre… Mais bon, j’ai com­plè­te­ment lais­sé tom­ber l’i­dée de bavar­der avec ceux qui croient en moi. Tu les as vus ? Oui, je sais ce que tu en penses. Tu n’as pas tort…

Au début, je me suis dit que les hommes m’é­cou­te­raient mieux si je me fai­sais pas­ser pour un caillou, un oiseau ou je ne sais quoi. Tout ce qu’ils ont su faire, ça a été crier à leurs voi­sins de véné­rer le caillou et l’oi­seau et leur deman­der de la bouffe et du beau temps. Jamais réus­si à leur faire com­prendre qui j’étais.

Oui, tu as rai­son. J’au­rais peut-être dû attendre qu’ils maî­trisent l’a­tome, ils auraient mieux compris.

Un jour, il y a dans les cinq mille ans pour toi, je sur­veillais ma soupe de quarks en train d’ex­plo­ser et je suis tom­bé sur un type qui se bala­dait dans le sable en se lamen­tant à pro­pos de son peuple qui était réduit en escla­vage et de pour­quoi les dieux accep­taient ça. J’ai déci­dé de lui en tou­cher un mot.

D’a­bord, j’ai fait comme d’ha­bi­tude, en me posant dans le buis­son à coté. Mais il a vite com­men­cé à perdre la boule, et j’ai déci­dé de lais­ser tom­ber le buis­son et de lui par­ler direc­te­ment. “Pour­quoi je ne te vois pas ?”, il a dit. “Parce que je suis à une échelle trop grande pour que tu puisses me voir”, j’ai répon­du. Et puis, je lui ai dit qu’il ne fal­lait pas que vous vous entre-tuiez, parce que bon, c’est vrai que phy­si­que­ment, vous êtes insi­gni­fiants — vous êtes des micro-riens qui vivent à la sur­face d’un quark, c’est dire !

Oui, t’es vexé, okay. Je peux finir ma phrase ? Je disais donc, vous n’êtes rien, mais vous avez ce truc bizarre qui s’ap­pelle une conscience. Vous souf­frez, vous vous posez des ques­tions, et moi, j’ai beau ne rien contrô­ler, je me sens un peu res­pon­sable, tu comprends ?

Donc, j’ai été voir l’autre zin­zin et je lui ai par­lé direc­te­ment. Je lui ai dit que j’é­tais trop grand pour qu’il puisse me voir, et j’au­rais tout de suite dû me dou­ter que quelque chose ne tour­nait pas rond, parce qu’il a com­pris que je lui inter­di­sais de me des­si­ner ou de gra­ver des images… Ben oui, ça fai­sait des jours qu’il mar­chait dans le sable, ça lui avait un peu grillé la cer­velle, au père Mōshe.

Et moi, comme un con, je l’ai char­gé de por­ter mon mes­sage à ses congé­nères : vous avez une conscience, vous souf­frez, ce n’est pas bien. Je lui ai dit que tout aurait pu aller super bien si vous aviez pro­fi­té des prai­ries ter­restres au lieu de vous taper des­sus, il a com­pris que j’a­vais créé le pre­mier homme dans un jar­din superbe avec de la nour­ri­ture abon­dante. Je lui ai dit qu’il com­pre­nait rien et que j’al­lais plu­tôt dis­cu­ter avec sa femme, qui avait l’air un peu plus éveillée ; il a com­pris que j’a­vais chas­sé l’homme de ce jar­din à cause d’une bêtise de la pre­mière femme.

Alors, j’ai pris les choses en mains : j’ai gra­vé des petits bouts de cailloux (oui, je maî­trise la phy­sique au niveau sub-quar­kique, vous y arri­ve­rez aus­si un jour), dans sa langue, où j’ai dit qu’il ne fal­lait pas tuer, tri­cher, men­tir, voler, tout ça… Je pen­sais qu’il fini­rait par lire ça à tête repo­sée, ou le faire lire à quel­qu’un, et que ses congé­nères se déci­de­raient à avan­cer ensemble au lieu de se chi­po­ter le moindre coin de sable.

Le mec était tel­le­ment impres­sion­né de voir la pierre se gra­ver sous ses yeux qu’il a crié que j’é­tais un dieu vache­ment plus fort que les autres dieux. Alors, je lui ai dit qu’il n’y en avait pas d’autres, que c’é­tait moi qui me dégui­sais. Et ce débile a com­pris qu’il était inter­dit d’a­do­rer les buis­sons et les cailloux qui parlent. Que j’é­tais le seul Dieu et qu’il fal­lait égor­ger ceux qui croyaient aux autres.

Du coup, pour pas rajou­ter au bor­del ambiant, j’ai arrê­té de me dégui­ser en objets, j’ai juste direc­te­ment par­lé, et comme vous me voyez pas, vous enten­dez une grosse voix qui vient de nulle part et vous flip­pez encore plus.

Deux mille de vos années plus tard, j’ai vu un prince, bour­ré de fric, arro­gant comme pas per­mis, qui trai­tait les gens comme des chiens. Je l’ai invi­té à sor­tir de son palais et à regar­der autour de lui. Je crois que ça l’a cho­qué : il est par­ti fumer de l’o­pium en disant à tout le monde qu’il fal­lait se déta­cher des choses maté­rielles et s’in­té­res­ser à ses concitoyens.

Après, y’a eu l’autre, là, qui était bien stone lui aus­si, mais il avait l’air plus d’a­plomb. D’ailleurs, après que je lui ai par­lé, il s’est acquit­té de sa “mis­sion” avec achar­ne­ment. Il en est mort, ce con…

Yeshua, il s’ap­pe­lait. Il avait une femme, un gosse, il était char­pen­tier comme son père, il avait l’air équi­li­bré. Je lui ai par­lé, lui aus­si. Et il a très bien com­pris cer­taines choses.

Il a tout de suite pigé que c’é­tait moi qui avais secoué Mōshe. Il a aus­si beau­coup mieux com­pris ce que je disais sur la tolé­rance, tout ça, et il a plus cher­ché à expli­quer que ses prédécesseurs.

Mais voi­là, il avait beau y mettre du cœur, il était pas super convain­cant. Y’a bien une dou­zaine de péque­nots qui n’a­vaient rien de mieux à faire qui l’ont sui­vi, mais la plu­part du temps, il cas­sait bien les burnes à tout le monde avec ses his­toires, un peu comme Sokrátes… J’y pen­sais plus, tiens. Lui, je lui avais dit de faire réflé­chir les autres juste en leur posant des ques­tions. Il avait aus­si un don pour emmer­der le monde et il lui ont fait bouf­fer de la ciguë pour lui apprendre.

Donc, le Yeshua, il est par­ti bille en tête expli­quer aux gens pen­dant des heures qu’il fal­lait être tous frères, qu’on n’en avait rien à faire de qui croyait quoi, qu’il fal­lait juste se res­pec­ter et s’ai­mer. Il a bien mon­tré l’exemple, d’ailleurs : Meriem, sa femme, elle a eu trois gosses dans les trois années qui ont suivi.

Mais les autres ont pas eu l’air convain­cu. Ils ont fini par le clouer sur un arbre, comme on fai­sait aux voleurs et aux emmer­deurs à l’é­poque. Après, y’a eu embrouille entre les douze pauvre types qui l’a­vaient sui­vi, il y en a un qui a ten­té un coup d’é­clat en disant qu’il avait res­sus­ci­té, que je l’a­vais ren­voyé sur Terre parce que c’é­tait mon fils… Il s’ap­pe­lait Már­cos, je crois. Il a com­men­cé à écrire un bou­quin sur Yeshua où il disait que j’é­tais venu en volant avec des ailes engros­ser la mère de Yeshua. Alors, Yusuf, le père de Yeshua, a pris la mouche et s’est engueu­lé avec Már­cos. Meriem en a rajou­té une couche parce que Már­cos avait vou­lu la sau­ter et qu’elle vou­lait pas, et voi­là com­ment Yusuf est deve­nu une vague connais­sance de la mère de son fils et com­ment Meriem est deve­nue une prostituée.

Ce jour-là, j’ai déci­dé de plus jamais aller voir un emmer­deur qui pose de ques­tions. Je me suis dit qu’à tout prendre, un chef de guerre serait plus à même de pro­pa­ger la paix.

Oui, ça peut paraître lou­foque. Mets-toi à ma place : j’a­vais quand même une espèce de res­pon­sa­bi­li­té, je vou­lais par­ler à ces imbé­ciles pour leur dire d’ar­rê­ter de se foutre sur la gueule, et y’a bien que le coup du chef de guerre que j’a­vais pas encore essayé.

J’ai donc dis­cu­té avec un cer­tain Artos. Un type qui avait récu­pé­ré le trône par un tour d’in­tel­li­gence remar­quable, sur­tout qu’il était encore minot. Le roi de l’é­poque avait coin­cé son épée dans une fis­sure entre deux rochers, en tapant à mort pour que per­sonne puisse la sor­tir, en disant : “celui qui la récu­pè­re­ra sera roi”. Bien sûr, per­sonne n’y arri­vait, ce qui était un peu cal­cu­lé de la part du vieux qui pou­vait pas blai­rer ses sei­gneurs et qui espé­rait bien voir une espèce de bûche­ron fort comme un ours arra­cher l’é­pée et deve­nir roi.

Artos, lui, il a réflé­chi deux minutes, et il a cher­ché un caillou à peine plus gros que la fis­sure. Puis, il l’a enfon­cé avec une tige et un mar­teau jus­qu’au fond de la gorge, au ras de l’é­pée. Ensuite, il a atta­ché la poi­gnée à une grosse branche pour aug­men­ter le bras de levier, et il a pous­sé sur le coté. C’est sor­ti qua­si­ment tout seul, et il s’est retrou­vé roi.

On a dis­cu­té un moment, au bord d’un lac, et il a d’ailleurs cru que j’é­tais une femme qui par­lait depuis le milieu du lac. On s’est bien enten­du, et on a dis­cu­té assez régu­liè­re­ment. On est arri­vé à la conclu­sion que les gens se tapent qua­si­ment jamais des­sus quand ils bossent ensemble, et qu’il fal­lait donc leur trou­ver un bou­lot à faire pour les gar­der occu­pés. Artos a lui-même trou­vé une his­toire de coupe de sang de Yeshua à retrou­ver, mais faut admettre que c’é­tait un type trop bien pour tenir par­fai­te­ment un men­songe pareil. Au bout d’un moment, les gens savaient plus trop ce qu’il fal­lait cher­cher, une coupe, un ciboire, un buis­son… Ça a mal tour­né quand un de ses meilleurs potes s’est tapé sa femme, Artos est par­ti bou­der sur une île au milieu du lac et il est jamais reparu.

Avec Artos, j’é­tais pas pas­sé loin. Du coup, j’ai re-ten­té l’i­dée du chef de guerre, mais en peau­fi­nant : j’en ai pris un suf­fi­sam­ment tei­gneux pour que per­sonne approche sa femme. Muham­mad. Ombra­geux, le bon­homme. Carac­té­riel. Pas du genre à dis­cu­ter pour rien : t’é­tais d’ac­cord, okay, t’é­tais pas d’ac­cord, ça se réglait à l’arme blanche et puis voi­là. Je me dou­tais que ça allait foi­rer, avec un carac­tère pareil, mais bon.

Bizar­re­ment, à un moment don­né, j’ai bien cru que ça allait réus­sir : il a conquis une bonne par­tie du monde connu et l’al­liance des tri­bus qu’il a for­mée a eu une espèce d’u­ni­té qui a failli durer.

Mais bon, ça a été un peu loin, à un moment don­né. J’a­vais bien dit à Muham­mad de s’oc­cu­per de ses affaires, d’u­ni­fier les tri­bus autour de lui, mais ses suc­ces­seurs ont pas tout pigé…

Oui, comme cet abru­ti de Már­cos et les autres suc­ces­seurs de Yeshua, t’as raison.

Et mille quatre cents ans plus tard, on a les arri­vistes qui pré­tendent écou­ter Yeshua et les arri­vistes qui pré­tendent écou­ter Muham­mad qui se tapent de nou­veau des­sus, tout en s’al­liant ça et là pour éli­mi­ner tous ceux qui ne sont pas d’ac­cord. Un bor­del… Mais un bordel !…

Pour­quoi je te raconte tout ça ? Oh ben tu sais, faut bien que je m’oc­cupe… Dans un quart de mes secondes, une dizaine de mil­liards de vos années, mon labo aura fini d’ex­plo­ser. Avec un peu de bol, je serai mort, sinon, juste un peu sau­va­ge­ment muti­lé. Et il n’y a plus rien à faire pour enrayer l’ex­plo­sion. Alors, j’es­saie de pas trop y pen­ser, tu vois.

Mais comme j’ai réus­si à ralen­tir l’é­cou­le­ment du temps, je peux pas juste attendre. C’est long, un quart de seconde. Alors, je regarde en détail ce qu’il se passe dans cette explo­sion, com­ment ma soupe de quarks se décom­pose en autre chose, et ce qu’il se passe au niveau sub-quar­kique. Je t’a­voue que j’ai été assez sur­pris de voir des formes de vie à la sur­face d’au­tant de quarks.

Ah oui, plu­sieurs mil­liers de quarks portent des espèces vivantes. Mais il n’y en a que deux ou trois où on a des cas aus­si inté­res­sants que chez vous… La plu­part des espèces intel­li­gentes se serrent les coudes. Il y en a peu qui se font autant de mal. Per­son­nel­le­ment, par exemple, je crois que j’ap­par­tiens à une espèce intel­li­gente, et en quelques mil­liers de nos années, on a appris à maî­tri­ser le temps et la phy­sique sub-quar­kique. Enfin, maî­tri­ser, c’est un grand mot, je te l’ac­corde, vu ce que je viens de te dire sur mon ave­nir immédiat.

Le truc, c’est qu’on s’y est tous mis ensemble, au lieu de nous cogner des­sus comme vous. Chez nous, un Ader, un Blé­riot et des Wright se seraient débrouillés pour bos­ser ensemble, au lieu de se copier jalou­se­ment en s’ac­cu­sant mutuel­le­ment de plagiat.

Non, non, je veux pas que tu ailles racon­ter à tout le monde cette ren­contre… T’as vu les catas­trophes que ça a cau­sées ? Déjà, le type à qui je parle com­prend pas tou­jours très bien, mais ensuite, ça part sys­té­ma­ti­que­ment en lolotte… Non non, conti­nue à vivre ta vie comme tu l’en­tends… De toute façon, y’a pas de juge­ment dernier…

Encore Mōshe qui avait rien pigé, ça… Je lui ai dit que j’ai­mais pas que tout se passe comme ça, il a com­pris que j’al­lais punir ceux qui feraient pas comme je disais… Je te dis : le soleil lui avait un peu trop cuit la couenne.

À la limite, si vrai­ment t’as envie d’en par­ler, tu peux en faire, je sais pas… Un poème, une nou­velle… Fina­le­ment, ça va prendre plus long­temps que la Révé­la­tion, mais peut-être que si je convaincs suf­fi­sam­ment d’au­teurs, de peintres, de cinéastes, vous fini­rez par avancer ?

Allez, moi, j’y vais. Je vais voir Mel Gib­son, essayer de lui remettre les yeux en face des trous.

Mer­ci, bon cou­rage à toi aussi.

(9 novembre 2007)