L’his­toire se passe à Gre­noble, ville pol­luée construite dans les Alpes, dans une cuvette entre les mon­tagnes. Le parc Paul Mis­tral était un des rares endroits où il res­tait quelques arbres au milieu des bagnoles.

Mais, sous l’i­dée que le club de foot­ball local pour­rait accé­der à la Ligue 1 avant 2100, le maire (Michel Des­top ou un truc dans ce genre-là) a déci­dé de construire un Grand Stade. Et, pour cela, de raser la moi­tié du parc. Tant pis pour les asthmatiques !

Je suis né il y a cent ans,

Plan­té par une main humaine,

Dans un parc entre des bancs

Et un gigan­tesque chêne.

Je bois dans une terre saine,

À un an, je croîs déjà,

Dans une clai­rière pleine

D’en­fants, de cris et de joie.

Les hommes prennent soin de moi,

Le petit hêtre fragile

Qui doit pas­ser sa vie à

Faire un arbre d’une brindille.

*

Je fais bien plus de dix mètres,

C’est une taille respectée

À trente ans pour un grand hêtre

Dans cette haute futaie.

Les enfants de mon planteur

Jouent à mes pieds en riant

Et grimpent à mes branches, sans peur,

Sur­veillés par leurs parents ;

J’en­tends par­ler les grand’mères

Pro­me­nant avec leurs chiens,

Repre­nant d’un ton sévère

Quelque tur­bu­lent gamin.

*

Autour du parc, les voitures

Ont enva­hi le pavé,

Et res­pi­rer devient dur

Pour ma soixan­tième année ;

L’air est sale, toussent les hommes,

Mais moi j’aime et je respire

Le dioxyde de carbone

Qui vous fait bien­tôt mourir.

Mais une chose ne change pas :

Les enfants de mon planteur

Ont des enfants, et ceux-là

Jouent entre les saules pleureurs.

*

Depuis cent ans, les gamins

Tou­jours s’ac­crochent à mes branches,

Mais voi­ci trois mois, un matin,

Un adulte avec des planches

Vient se faire une maison

En haut, tout près du sommet

En pre­nant grande attention

De ne rien trop abîmer.

D’autres grands, dans mes voisins

Se sont ins­tal­lés aussi,

Dans un grand squat aérien

Où ils res­tent même la nuit !

*

Ce matin, des bipèdes en bleu,

Matra­quant tous mes squatteurs,

Ont éva­cué les lieux,

Les ont emme­nés en pleurs.

Et à peine une heure après,

C’est le bruit des tronçonneuses

Qui fit fré­mir la futaie,

Comme une der­nière berceuse.

J’au­rais pu être coupé

Pour des trans­ports en commun,

Pour lais­ser pas­ser un tramway,

Pour pol­luer un peu moins,

Mais mon blai­reau d’assassin

Veut construire un stade de foot

Bien qu’il en ait déjà un,

C’est pour ça que l’on me coupe !

*

Ô toi, l’homme qui m’a planté,

C’est ton fils qui m’a rasé !

Pour­quoi as-tu enfanté

Ce cré­tin décérébré ?

Et toi qui nais dans ce monde,

Sache que tu dois à ton père

Tout un monde de béton

Où l’on ne res­pire plus d’air

Que puri­fié en flacon !

(02/04)