Paris, an 01
|J’accorde assez peu d’importance aux anniversaires. Cependant, ça a fait 365 jours hier que j’habite dans la capitale. Ça se fête, non ?
Plein de choses ont changé. Je suis riche (les patrons ont refusé de négocier à moins de 12% d’augmentation avec le passage à l’année 2009 O_o). Je loge dans 13 m², je fais de plus en plus de tests et de moins en moins de news (sauf le week-end, y’a quand même des choses immuables), vu que celles-ci sont de plus en plus sous-traitées. Florence, qui était seule avec 12 gars (enfin, y’avait Nilo en alternance) quand je suis arrivé sur Paname, a vu arriver les renforts : LesNums ont embauché autant de filles que de gars en 2008–2009. Et une quatrième doit arriver en septembre.
L’environnement, en revanche, n’est pas super motivant. Paris est une ville triste et humide, extrêmement différente de Grenoble, en fait. Y’a qu’ici qu’on voit des amoureux se promener en avril en faisant la gueule. Le Parisien manque de curiosité sur beaucoup de choses, connaît sa ville moins bien que moi et se torche avec tout ce qui ressemblerait à du civisme : inutile d’espérer passer trente seconde sur un escalier mécanique sans se faire engueuler — ouais, bravo, tu m’as doublé, t’as gagné quatre secondes et demie et un ulcère, félicitations –, de franchir un passage piéton lorsqu’il passe au vert — euh, tu sais que normalement, on s’arrête à l’orange ? au rouge ???!…
Le métro est un cas d’école, régulièrement bloqué en gare parce qu’un crétin a décidé qu’il prendrait celui-là et pas un autre, même si les portes étaient en cours de fermeture quand il est arrivé sur le quai. Le type intercale une épaule, puis pousse, tire, jusqu’à arriver à l’intérieur en écrasant tout le monde — oui, ce genre d’abruti se déplace beaucoup aux heures de pointe. On perd trente secondes, qui vont logiquement se répercuter sur l’ensemble des rames (le chronométrage des intervalles sur certaines lignes, notamment la 1 et la 4, est quasiment à la seconde près aux heures de pointe), alors que la rame suivante est à une minute trente derrière… Et le plus dingue, c’est qu’il y a toujours des abrutis pour aider Crétin Ier à rentrer, au lieu de lui foutre un coup de godasse pour qu’il retourne attendre le train suivant.
Le réglement de la RATP indique très clairement qu’un tel comportement est verbalisable (il est strictement interdit d’essayer de monter dans un train après que le signal de fermeture a retenti), mais je n’ai jamais vu ce point mis en application.
Car la RATP a ceci de commun avec l’industrie du disque qu’elle préfère déclarer la guerre à ses clients. Universal tape très fort sur les “pirates” et freine des deux pieds le développement d’une offre de téléchargement légal, ajoute sur les DVD des clips anti-piraterie qu’on ne peut pas zapper et qui par conséquent ne font chier que les gens honnêtes qui achètent leurs films…
La RATP, elle, semble croire que pour lutter contre la resquille, il suffit de rendre la vie impossible aux utilisateurs. Portes automatiques plus tourniquets égalent impossible de passer avec un sac, des gosses ou un embonpoint marqué. Et je parle même pas des poussettes. En revanche, ceux qui ont l’habitude de sauter les barrières ne sont nullement gênés pour peu qu’ils voyagent léger. Rebelote à la sortie du métro, où des portes de 60 cm de largeur permettent (en théorie) d’empêcher que des resquilleurs entrent : les obèses et autres gens chargés galèrent pour passer, ou doivent utiliser les sorties prévues pour les handicapés en fauteuil, et les resquilleurs trouvent toujours le moyen de rentrer.
Tant que ces industries n’auront pas compris qu’en emmerdant les honnêtes gens autant que les malhonnêtes, on ne leur donne aucune bonne raison de le rester, d’une part, la resquille continuera et, d’autre part, les honnêtes gens ont pas fini d’en chier.
Il y a aussi le problème des plans de circulation totalement incohérents dans certaines stations (à Nation par exemple, quand je veux prendre les lignes 1 ou 6, je suis censé faire le tour par l’extrémité du quai de la 9 puis passer deux minutes dans un labyrinthe de couloirs, alors qu’en coupant à contre-sens sur dix mètres je reprends la correspondance prévue exclusivement pour le RER et j’arrive à quai en trente secondes). Mais là, je pense qu’un type beaucoup mieux payé que moi a dû y réfléchir beaucoup plus longtemps et que le résultat obtenu est forcément optimal.
Au final, les Parigots ont donc des raisons de faire la gueule. Mais la pire, c’est celle-ci : ayez la malchance d’avoir une mine vaguement ouverte, et vous vous ferez sauter dessus trois fois par jour par des clodos par procuration. Je parle pas des vraies cloches, qui généralement restent sur leurs cartons sans faire chier le monde, même si quelques-uns jouent la carte “je suis pauvre et miséreux” (pas vu un seul “joyeux clochard” depuis que je suis là, ça aussi, c’était plus sympa à Grenoble où y’avait quelques “t’as pas une pièce ? Rassure-toi, je la boierai à ta santé !” hilares).
Non, la vraie plaie de Paris, c’est les petits bourgeois des beaux quartiers qui s’encanaillent et/ou se rachètent une conscience en faisant la manche pour des bonnes causes. Croix-rouge, Action contre la faim, Handicap international, ils sont tous là, à vous guetter à la sortie du métro ou aux carrefours fréquentés. Si vous avez l’air prêt à tuer, ils vous foutent une paix royale, si vous avez l’air vaguement humain, ils s’y mettent à trois pour vous cramponner et ne vous lâchent que lorsque vous êtes effectivement prêt à les tuer ! Du coup, apprendre à faire la gueule est une stratégie de survie pour le Parigot — il semble d’ailleurs que ce ne soit pas génétique : ils sont souriants et amusants jusqu’à l’âge de cinq-six ans, en général.
À part ça, cette cinquante-deuxième semaine parisienne (à quelques séjours dans le Sud ou en Allemagne près) a été assez difficile à digérer : mardi soir, Tristan (le maniaque du son des Nums, musicien à ses heures perdues et seul parisien connu qui connaisse un peu les lignes de son métro) avait dégotté une soirée d’hommage à Bob Dylan. On s’y est donc retrouvés à trois (Morgane, la dernière arrivée, était venu parfaire sa culture musicale) à écouter des reprises très variables, archi-nulles, fidèles, complètement barrées, purement géniales selon les groupes, dans une ambiance un peu peuplée mais plutôt sympa, dans une salle appliquant la politique du tarif unique : bière et whisky à 50 centimes d’écart, j’avais jamais vu. (C’est la bière qui monte au tarif habituel du whisky, bien sûr.)
Mercredi, Vincent avait décidé de faire une petite tawa pour inaugurer le quatrième étage, où les tables doivent être arrivées à l’heure où j’écris. Ça s’est fini à deux heures du mat’, dans un pub, après avoir avalé trois biscuits apéro comme seul truc solide. Le jeudi a été très pâteux et douloureux, surtout après le truc toujours non identifié mais qui brûlait bien (au sens strict, le serveur l’allumait au briquet avant de le servir). J’imagine pas la gueule des gens qui bossaient.
J’ai passé l’âge de ces conneries.
N’empêche, moi, je me suis pas perdu en rentrant. Y’avait trois étoiles visibles, dont la polaire, j’ai tiré à l’Est et je suis arrivé droit chez moi. Tous les Parigots de souche ne peuvent pas en dire autant.