Big brother, why weren’t your watching me ?
|C’est le cri du cœur de l’association des familles de victimes du vol Air France 447 : comment que ça se fait-il qu’on n’ait pas déjà un déroulé minute par minute, pardon, seconde par seconde du vol, des événements qui ont mené F‑GZCP dans l’eau et les dernières pensées de chaque passager ? Avec même cette insinuation pour le moins sympathique : si on cherchait plus mieux bien, ben on saurait sûrement déjà plein de choses. Et faut vraiment pas que ça dure des mois, voire des années, parce que nouzôt on veut des réponses, et cætera.
D’une part, il convient de rappeler que le rapport du BEA sur le crash de F‑BTSC est arrivé dix-huit mois après, alors qu’on disposait sur place de l’intégralité des débris (y compris la lamelle laissée à Roissy par un DC-10, avec quelques débris du pneu qui a roulé dessus), de boîtes noires parfaitement exploitables, de tracés radar, du suivi radio des contrôleurs et même de films amateurs. Dans le cas de notre A330 du mois, on ne dispose que de quelques centaines de pièces, quelques dizaines de corps et une vingtaine de messages automatiques ; l’appareil était hors de toute couverture radar, n’a pas communiqué par radio, et le gros des débris est avec les boîtes noires sous 4 à 6 km d’eau. Et vous savez quoi ? Cette épaisseur de flotte ne simplifie pas les recherches : elle isole les émissions radio des boîtes noires, elle a pu participer à étaler les débris, et elle assure qu’on n’a aucune cartographie précise de l’endroit où chercher — lequel n’est lui-même connu, en surface, qu’à quelque dizaines de milles près.
Dans ces conditions, pouvoir à l’heure actuelle affirmer que l’appareil est arrivé sur l’eau à plat et sans qu’une procédure d’évacuation ait été préparée est déjà semi-miraculeux, et en tout cas extrêmement rapide. Donc, j’ai envie de dire à ceux qui trouvent que l’enquête n’est pas assez énergique : “si vous avez tant d’énergie, vous prenez vos tubas, vos palmes et vous allez chercher vous-mêmes, hein ?”
D’autre part, je trouve hallucinant le reproche adressé à l’aviation civile et à Air France en particulier : comment ça, on ne sait pas si mon cousin est allé pisser à 1h45 ou plutôt vers 1h50, alors qu’il était dans un avion ? Ben oui, il y a des moments dans la vie où on ne sait pas tout. C’est aussi simple que ça, mec, faut faire avec. Que les proches des disparus (plutôt nombreux) et décédés (plus rares) se demandent les détails de ce qui est arrivé aux êtres aimés, c’est normal et légitime. Qu’ils reprochent aux compagnies aériennes de ne pas être en permanence en contact étroit avec les avions, c’est plus discutable : à quoi bon surveiller 100% de la surface du globe, ce qui représenterait un surcoût phénoménal, pour un bénéfice limité (en gros, savoir que l’avion a disparu à 2h au lieu de 8h, sachant que les recherches nocturnes sont de toute manière inefficaces) ?
En gros, on est là face à un paradoxe amusant : d’un côté, je veux pas qu’on me surveille, je suis assez grand pour savoir ce que je fais, c’est nul que mes cartes de crédit/mon téléphone/mon pass Navigo/(à compléter) me tracent partout ; de l’autre, je veux qu’on surveille mes proches, je veux savoir ce qu’il leur arrive en temps réel, je veux savoir ce qu’ils pensent, ce qu’ils font, ce qu’ils ressentent, surtout si je ne les verrai plus parce que l’avion c’est dangereux (bien sûr, les statistiques de la plus mauvaise compagnie africaine sont meilleures que celles de n’importe quel conducteur français, mais on s’en fout).
En gros, on reproche à la société de placer des Big brother partout, et quand il arrive quelque chose, on reproche à Big brother de ne pas avoir été là à l’instant crucial. “Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?” et toute cette sorte de choses.