Cinéma stéréoscopique
|Tout à l’heure, j’ai vu un film en stéréo pour la première fois. C’était Là-haut, bien sûr.
Alors, ça change-t-il la vie ? Outre le fait que y’avait longtemps que j’avais pas payé pour rentrer dans un cinéma (location des lunettes = 2 €), non, pas vraiment.
Techniquement, il s’agissait manifestement d’un système actif avec des écrans LCD dans les lunettes : un récepteur au centre d’icelles leur permettait de recevoir le signal pour occulter l’œil droit quand l’image gauche est à l’écran et inversement. En posant un doigt partiellement sur le capteur, le système se bloquait sur l’œil gauche (celui-ci voyait donc les deux images superposées, le droit ne voyant rien derrière une lunette noire), et en le posant complètement, les deux verres devenaient transparents.
La qualité de la stéréoscopique est évidente, comme ça l’était d’ailleurs lorsque j’ai pu tester Left4dead en stéréo lorsqu’une machine de démonstration Nvidia est passée au bureau. La perte de luminosité aussi, et plus surprenant, la balance des blancs est faussée : l’image est plus chaude avec les lunettes que sans.
Deux faiblesses toutefois : d’une part, les saccades étaient plus visibles qu’avec un film normal. Okay, sur les travellings, à 24 Hz, j’ai toujours plus ou moins détecté les saccades, mais là, c’était pire ; je suppose que l’ ”écran noir” entre deux images successives renforcent l’effet. D’autre part, grâce à un projectionniste pressé qui a rallumé la lumière dix secondes avant le générique (lequel était en monoscopie), on a bien pu apprécier l’incompatibilité majeure entre un système optique calé sur 48 Hz (en fait, 2x24 Hz pour les deux yeux) et un système d’éclairage à néon, s’allumant et s’éteignant 50 fois par seconde. Concrètement, des images sautaient purement et simplement de temps à autres sur l’un des yeux, phénomène extrêmement désagréable.
In fine, je suis donc sorti de la salle beaucoup plus fatigué qu’à l’ordinaire. Mes yeux ont pas vraiment apprécié l’expérience.
Sur le plan cinématographique, la stéréoscopie impose une révision fondamentale de la façon de filmer.
Traditionnellement, un photographe (de cinéma ou non) construit un plan en se basant sur la netteté. Celle-ci sera réalisée sur le sujet, et l’on va jouer sur la profondeur de champ pour le mettre en valeur ou au contraire le noyer. Le flou d’arrière-plan (et plus rarement d’avant-plan) est utilisé pour guider le regard du spectateur, ce qui est d’autant plus important au cinéma que l’on ne dispose que de la durée du plan pour lui faire voir ce que l’on veut lui montrer.
Le problème, et on l’a très bien vu dans le clip de présentation de la stéréo qui jouait énormément sur la profondeur de champ, c’est qu’avec le relief, on a beaucoup plus tendance à laisser balader ses yeux sur l’ensemble de la scène. Dans la vraie vie, c’est ce qu’on fait, et la mise au point est faite en continu presqu’instantanément, et le cerveau recombine les dizaine d’images ainsi obtenues pour créer notre vision du monde, nette de partout. Du coup, lorsque l’on joue sur la profondeur de champ, on envoie au cerveau deux messages contradictoires : d’un côté, il a du relief et se balade donc dans un monde “réel”, de l’autre, il ne peut voir ce qu’il veut regarder pour reconstituer l’image complète.
Je suppose que les réalisateurs sont conscients de ce problème — qui, il est vrai, ne se pose peut-être qu’à ceux qui raisonnent en termes de photo ? — puisque Là-haut (vu en stéréo) joue beaucoup moins sur la profondeur de champ que Cars (vu en mono), créé par les mêmes studios et existant également en stéréoscopie. J’ignore, ceci dit, si c’est un choix technique lié à la stéréo (i.e. Là-haut en monoscopie a‑t-il une profondeur de champ plus courte et conforme aux films classiques ?). Reste que la perturbation dans le film est bien moindre que dans le clip d’intro, ce qui est une excellente nouvelle.
En revanche, la profondeur de champ systématiquement étendue a un effet pervers : l’habitué de la photo ou du cinéma est entraîné à rechercher dans le plan la zone la plus nette. Mise au point et profondeur de champ établissent un code entre photographe, réalisateur et spectateur. Ici, l’absence de cette convention est perturbante : le regard se balade dans le champ, un peu perdu, et il faudra sans doute mettre au point d’autres conventions pour montrer au spectateur ce qui est important, l’aider à lire l’image donc.
En l’état, je ne suis donc pas super fan de la stéréoscopie. Techniquement, il faudra sans doute augmenter la fréquence de capture : la différence entre 2x24 Hz (cinoche) et 2x60 Hz (jeu PC avec carte vidéo qui va bien) est flagrante. Cinématographiquement parlant, ça ne semble pas pleinement utilisé pour apporter un vrai plus dont le cinéma classique ne serait pas capable, et on perd pas mal de repères.
Va sans doute falloir que je m’y habitue, quoi.