Crossroads
|87, 90, 92, 98, 00, 01–02, 06, 08…
Trois ans ici, deux là, c’est un peu le rythme que je tiens depuis ma naissance. Imposé par les déménagements familiaux, ou choisi, peu importe. La plus longue période dans un même endroit s’étend de 92 à 98, et encore y a‑t-il eu une rupture quelque part au milieu, je sais pas exactement quand, en 96 sans doute.
Jusqu’ici, ces ruptures étaient alignées sur l’année scolaire, l’exception étant 2001–2002 qui a commencé en janvier mais n’a réellement culminé qu’à l’été avec le départ de l’IMAG et le cap mis sur Stendhal. Mais elles se sont toujours nourries d’événements précédents : ça faisait un an que je n’étais plus à ma place en informatique, ça faisait des mois que je savais ne pas vouloir continuer après ma licence de langues, et ainsi de suite. Sans doute le traumatisme récurrent du mouvement perpétuel m’a-t-il toujours retenu de décider d’un départ à la légère, et poussé à y réfléchir quand bien même ma conviction était faite. Toujours tout remettre en cause, ça fait partie de mes petites obsessions personnelles, n’est-ce pas ?
À peser ainsi les choses, j’ai toujours su pourquoi je partais. J’ai quitté l’informatique essentiellement à cause des autistes qui peuplaient les couloirs de la fac, à cause également de cours répétitifs et ennuyeux revenant, en plus abstrait, sur des notions vues à l’IUT. J’avais l’impression d’avoir fait le tour, et de ce que je voulais savoir sur le sujet, et des gens qui y vivaient.
Je n’ai pas continué en langues, alors que j’aurais sans nul doute pu trouver un sujet de Master recherche intéressant et un mentor volontaire pour me récupérer (je fantasme pas : c’est lui qui est venu me trouver après un cours pour savoir si ça m’intéresserait), parce que j’avais l’impression d’avoir fait le tour du concept de “fac”, que je n’avais pas envie de m’y ré-investir pour deux années supplémentaires (minimum), et que le groupe relativement soudé d’une dizaine de japonisants allait de toute manière éclater avec le départ de certains à l’étranger, d’autres vers la “vie active” (ah, ah, ah), et que de toute manière je n’aurais pas continué en LEA mais en IdL — itinéraire qui ne nous était théoriquement pas ouvert, mais la fac, à 90%, c’est l’art de demander à la bonne personne.
J’ai vaguement l’impression de revivre ça depuis quelques mois. À la fin du printemps, l’envie de tout plaquer sans délai — autrement dit, fuir — m’a plus que traversé l’esprit. Elle m’a obsédé plusieurs semaines d’affilée, tout en me terrorisant au plus haut point : “non, si je plaque tout maintenant, ce sera pour de mauvaises raison et je le regretterai toute ma vie”.
Cependant, depuis six semaines, les choses évoluent. Le truc que j’aurais fui en mai est à peu près réglé, en tout cas en très bonne voie je pense. Et du coup, c’est tout le reste qui remonte et devient sujet d’examen.
Le travail en lui-même est remis en question. Clairement : je n’apprends plus qu’épisodiquement depuis des mois, après avoir énormément ingurgité de trucs pendant un an. J’ai rattrapé un certain retard dans pas mal de domaines, et cette motivation fondamentale s’étiole — cf. Des hauts et des bas. Du coup, chercher des sujets de brèves sur le week-end m’emmerde plus que ça ne m’amuse, et même tester de nouveaux appareils a quelque chose de répétitif. Accessoirement, quand je me rends compte qu’un contructeur qui n’avait pourtant vraiment pas à se plaindre de nos commentaires nous a black-listés sans qu’on en connaisse la raison — tout ce qu’on sait, c’est que non seulement il est inutile de lui demander quelque chose en avance, mais qu’on ne reçoit même plus ses communiqués de presse —, ça n’arrange rien.
Du coup, reste l’élément central que j’ai toujours considéré comme essentiel dans le boulot : les relations avec les collègues, qui sont à peu près l’intégralité de mes relations interpersonnelles. C’est grâce à ça que j’ai décidé de me laisser tranquillement virer de l’Éducation nationale alors qu’il me suffisait d’investir dans une carte d’étudiant auprès de n’importe quel CNED pour conserver mon poste : la CPE qui vient me reprocher le mardi matin, en plein petit-déjeuner, un truc qui date du dimanche soir et qu’elle aurait pu me dire sur le moment sans aucun soucis, ou qui repasse systématiquement derrière moi pour vérifier si je fais mon boulot, je supportais pas.
Et là, clairement, ça tourne carrément à la merde ces derniers temps. Entre des infos qu’on ne me donne pas parce que, ben, je sais pas trop pourquoi en fait, des trucs qu’on me reproche alors que je n’ai rien à voir avec ça, certains qui ont tendance à s’adresser au patron quand ils ont un problème avec quelqu’un, un collègue théoriquement proche qui m’évite depuis un mois… Non, clairement, les trucs que j’ai du mal à avaler commencent à s’accumuler et les moments sympas s’évanouissent à toute vitesse.
On me dira sans doute que le problème vient au moins en partie de moi, c’est certes probable mais alors, bordel, dites-le au lieu de supposer que je vais le deviner ! Et quand je me rends compte qu’un type avec je bosse, mange et discute depuis plus d’un an n’a absolument aucune idée de qui je suis et de comment je peux réagir à telle ou telle chose (et qu’en plus, en bon parigot qui n’a jamais mis les pieds au sud de la Loire, il veut m’apprendre à moi ce que sont les filles du sud…), ça me donne vraiment pas envie de chercher plus loin.
En gros, le boulot était intéressant, bourré de nouveautés et de gens sympas ; il est maintenant pas chiant et bien payé. J’ai du mal à me contenter de ça…
Enfin bon, comme d’hab’, ça n’est qu’une réflexion en cours dont je sais vraiment pas comment elle va tourner. On verra bien…