La souvenance, demandez-la
|Je viens de lire, sous la plume de l’excellent (quoique Parisien) maître Eolas, un billet rappelant au monde l’anniversaire de la libération d’un ex-terroriste et futur chef d’État sud-africain. Ledit billet comporte l’assertion suivante :
tous ceux qui ont vécu ce jour s’en souviennent comme si c’était hier.
Or, pas plus tard que ce midi, je discutais avec un collègue de cette époque pas si proche de notre passé.
Et il se trouve que je n’ai aucun souvenir de la sortie de Mandela de prison. Aucun. J’imagine que l’événement a été relaté, dans la mesure où ce prisonnier était devenu emblématique de l’apartheid, popularisé par Renaud, Fugain, Ferrat et peut-être des chanteurs connus. Mais pas de quoi marquer la mémoire du gosse que j’étais à l’époque.
En revanche, je me souviens bien, la même année, de l’invasion du Koweït par l’Irak, des discussions de l’ONU en vue d’une intervention militaire, puis de l’attaque aérienne et enfin de l’assaut terrestre. Je me souviens bien des fantasmes sur les missiles balistiques iraquiens, la possibilité que la terre bascule dans une guerre mondiale par le biais d’alliances antagonistes, tout ça. Et le collègue avec qui j’en causais tout à l’heure, âgé d’un an de plus que moi, confirme que c’était le sujet de discussion de l’année.
Aujourd’hui, j’ai tendance à penser qu’à leur habitude, mes confrères du 20 h ont dû en faire plus sur la guerre — un sujet facile à traiter, surtout que les images arrivaient toutes prêtes, même le montage était fourni par CNN — que sur l’évolution potentielle d’un des derniers États “blancs” reposant sur un système raciste. Il faut dire que là, il aurait fallu faire de la géopolitique, de l’Histoire, de la sociologie, de l’ethnologie et peut-être même de la psychanalyse des masses, ça devait être un peu compliqué…
Pourtant, aujourd’hui, j’ai tendance à considérer la guerre du Golfe, première du nom, comme un épiphénomène : une guerre pas plus originale qu’une autre, dont la principale bizarrerie fut le traitement journalistique à base de propagande parfaitement contrôlée. La libération de Mandela, en revanche, marquait une évolution majeure de l’Afrique du Sud, présageant une décolonisation comme peu de pays en ont connue, et reste un geste rare de réaction intelligente d’un gouvernement affaibli face à des émeutiers nombreux et incontrôlables.