Alternance
|À l’approche des élections régionales, je me rends compte d’un truc : c’est qu’on va encore voter massivement à “gauche”. Et que conséquemment, on va voter à droite aux élections suivantes… donc réélire Sarko et lui redonner les pleins pouvoirs.
Rappelez-vous : le phénomène a un nom, depuis Mitterrand en tout cas. Ça s’appelle “l’alternance” retenez bien ce mot. Oui, l’alternance, avec un article défini, comme s’il n’en existait point d’autre (pourtant, les couturières sauront citer au moins un autre cas d’alternance, connu sous le mantra “une maille à l’endroit, une maille à l’envers”).
L’alternance, donc, a changé de forme. Souvenez-vous. L’alternance, telle que définie par ce vieux renard de Mitterrand — à qui on peut reprocher beaucoup de choses, mais pas un manque d’intelligence ou un excès de scrupules —, fonctionnait comme suit :
- je suis élu par des gens souhaitant voter à gauche¹ ;
- mon bilan est naze, ou mon adversaire le fait passer pour tel. À l’élection suivante, les gens votent donc à droite ; or, c’est un scrutin législatif. Assemblée de droite, je prends un premier ministre de droite et me concentre sur ma chasse gardée : la politique internationale (et la construction de pyramides et de bibliothèques) ;
- en deux ans, mon bilan naze devient le bilan naze de mon premier ministre, un certain Jacques C. de Corrèze. À l’élection suivante, les gens votent donc à “gauche” ; or, c’est un scrutin présidentiel, donc je garde mon siège ;
- je dissous l’Assemblée dans la foulée histoire d’avoir un législatif de mon bord et cinq ans de tranquillité devant moi.
Notons que Mitterrand a employé deux fois, avec grand succès, cette formule soignée, et que la deuxième fois, c’est un certain Edouard Balladur qui dut encaisser un bilan de merde (qu’il avait bien cherché, il est vrai), qui lui valut de se rétamer face à Chirac, du même parti, mais qui avait le bonheur de ne pas être aux affaires, et envers qui Mitterrand avait une petite dette de jeu depuis 88. C’était déjà une petite entorse à l’alternance : normalement, c’était un scrutin pour voter à gauche, mais la “gauche” avait Jospin comme candidat². Ceci dit, malgré ce handicap, le bilan merdique de deux années chiraquiennes a propulsé le Parti Socialiste aux législatives suivantes, puis le bilan pourrave d’icelui a permis au nabot d’être élu en 2002.
Or doncques, disais-je, l’alternance a changé de forme.
Oui, parce que Chirac a, au passage, établi une nouvelle petite règle : le mandat présidentiel fut réduit à cinq ans, suite à quoi les élections présidentielles et législatives se sont trouvées synchronisées.
Il reste bien entendu des élections entre deux duos présidentielles / législatives. Ce sont les autres élections : les municipales, les régionales, les européennes… Ce ne sont pas les occasions qui manquent.
Néanmoins, à chaque fois que le Français estime ses dirigeants mauvais (ce qui fait très précisément 100 % du temps, l’électeur français étant exigeant et l’élu français étant vendeur de vent), il vote pour le camp adverse à l’élection suivante.
Du coup, ça devrait logiquement devenir systématique : présidentielles et législatives seront remportées par la droite, tandis que les scrutins locaux et internationaux éliront des partis se réclamant de la gauche.
Deux conséquences.
D’une part, la droite devrait garder ad vitam æternam le contrôle au niveau national de l’exécutif et du législatif. Je soupçonne ce vieux renard de Chirac (qui n’avait rien à envier à Mitterrand, ni en intelligence, ni en cynisme) de l’avoir fait exprès.
D’autre part, à une alternance chronologique au plus haut niveau des institutions succède une alternance juridictionnelle : l’échelle locale (villes, départements, régions) reste à gauche, l’échelle nationale à droite, et les députés européens français resteront majoritairement de gauche. Il ne devrait plus, en revanche, y avoir d’alternance chronologique à un même échelon³.
Si vous avez regardé un peu comment ça se passe depuis l’élection de notre président bien-aimé, c’est assez simple. L’échelon national critique les échelons locaux pour l’augmentation des impôts, et sous ce prétexte taille dans le gras des dépenses étatiques en déléguant des responsabilités, notamment aux régions et départements.
Les juridictions locales, elles, reprochent à l’État de leur transmettre des responsabilités sans allouer le budget afférant et expliquent donc n’avoir point de solution alternative à l’accroissement de l’impôt local.
Ajoutons à cela que lorsque les régions ne peuvent porter le chapeau pour tout ce qui va mal, l’État est prompt à expliquer que l’Union européenne impose un diktat irréaliste sans lequel tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, et que lorsque ce n’est pas la faute d’un manquement de l’État, les administrations locales sont tout aussi vives à l’égard de l’échelon européen⁴, et vous aurez une idée de comment ça fonctionne.
Résultat : au “je fais pour le mieux malgré le bilan déplorable de mon prédécesseur”, qui laissait tout de même l’espoir que les institutions fonctionnent de temps à autres, a succédé un “c’est pas moi, c’est lui” grâce auquel on peut être certain que rien de positif n’arrivera jamais.
Finalement, plutôt que de les faire alterner, que ce soit dans un repère temporel ou dans un repère hiérarchique, il serait peut-être temps de foutre tous ces braves gens dans le même bain. Avec des poids aux pieds.
¹ La formule est alambiquée, mais c’est parce qu’il y a débat pour savoir s’ils ont réussi.
² Je pourrais détailler, mais je crois que cette justification se suffit à elle-même, non ?
³ Surtout si le PS persiste à présenter des Royal et des Jospin à la présidentielle.
⁴ Oui, l’Union européenne peut-être de gauche ou de droite, selon qui compte. Après tout, là, spontanément, vous savez de quel bord c’est, la CDU ? Okay, celle-là était facile. Et le CDS-PP ? Et la ÎΔ ? Alors, si je vous dis que l’Assemblée européenne est de gauche, vous pouvez me croire. Et inversement.