Pseudo-3D

Vous le savez si vous êtes de mes lec­teurs régu­liers, je n’aime pas qu’on dise “3D” ou “relief” pour par­ler des films sté­réo­sco­piques. Pour moi, un film en 3D, c’est une tech­nique d’a­ni­ma­tion ou de pla­ce­ment d’élé­ments pho­to­gra­phiés dans un uni­vers en trois dimen­sions : Shrek est un film en 3D, même s’il est pro­je­té sur un écran plan. Quant à la notion de relief, pour moi, elle a un sens phy­sique : une carte en relief me per­met de tour­ner autour pour voir à quoi res­semblent les mon­tagnes en vrai.

Le terme logique, c’est donc celui de sté­réo­sco­pie : on filme ou génère deux images, une pour chaque œil, à par­tir de camé­ras (réelles ou vir­tuelles) écar­tées de quelques cen­ti­mètres. Chaque œil voit donc une pers­pec­tive qui lui est propre, et le cer­veau inter­prète cela comme un relief — quel con, ce cer­veau — alors que le film reste plan.

Or, voi­ci avec Alice au pays des mer­veilles (il n’est point le pre­mier : Voyage au centre de la Terre, par exemple, a été ain­si dif­fu­sé en “3D”, mais je l’a­vais vu en ver­sion mono­sco­pique) la pseu­do-sté­réo­sco­pie. Ça marche comme suit, vous allez comprendre.

Nor­ma­le­ment, on filme avec une camé­ra. Pour la sté­réo­sco­pie, on a deux camé­ras syn­chro­ni­sées — ou, éven­tuel­le­ment, une camé­ra dotée de deux corps optiques paral­lèles, comme sur ce modèle — qui cap­turent cha­cune l’i­mage des­ti­née à un œil. C’est ain­si que fut tour­né Ava­tar, du moins pour les par­ties filmées.

Mais voi­là que l’ar­gu­ment “3D” devient com­mer­cia­le­ment por­teur, au point de deve­nir une façon de pro­mou­voir des films qui, en temps nor­mal, n’é­veille­raient chez le cri­tique qu’un ron­fle­ment dis­cret. Donc, on crée deux images, une pour chaque œil, à par­tir… d’une seule.

Ima­gi­nons que j’aie fil­mé une scène, et que je décide de l’en­voyer telle quelle à l’œil gauche. Pour don­ner l’illu­sion de la pro­fon­deur, je vais édi­ter cette scène, déca­ler le pre­mier plan de quelques pixels vers la gauche, l’ar­rière-plan de quelques pixels vers la droite, et envoyer l’i­mage ain­si retou­chée à l’œil droit. Celui-ci reçoit ain­si en prin­cipe une image cor­res­pon­dant à la pers­pec­tive qu’il aurait s’il voyait lui-même la scène.

Tim Bur­ton explique à qui veut l’en­tendre que cette tech­nique marche super bien, d’au­tant qu’il a fil­mé sur fond vert et que les images de syn­thèse sont elles en vraie sté­réo­sco­pie (chaque image est géné­rée en double, avec une camé­ra vir­tuelle déca­lée de quelques cen­ti­mètres, comme pour Là-haut), et qu’il n’a­vait donc pas besoin de fil­mer avec deux camé­ras pour obte­nir le même résultat.

Tim, fran­che­ment, écoute ce conseil : arrête de fumer.

Glo­ba­le­ment, sur les scènes fil­mées (notam­ment celles de la vraie vie), ça donne ça : on a une image pro­je­tée sur dif­fé­rents plans. Un plan bien plat avec le décor, un plan bien plat avec les per­son­nages de fond, un plan bien plat avec les per­son­nages prin­ci­paux… L’ef­fet est le même que quand on regarde une pièce de théâtre et que le déco­ra­teur a vou­lu don­ner l’illu­sion d’un pay­sage loin­tain à tra­vers une fenêtre.

Sur les scènes géné­rées, c’est encore plus bâtard : les par­ties fil­mées (per­son­nages notam­ment) sont dans des plans bien plats, mais les­dits plans sont reliés par des élé­ments en vraie 3D sté­réo­sco­pique, avec une pers­pec­tive bien dif­fé­rente pour chaque œil. La scène qui m’a le plus mar­qué est celle où Alice boit la potion qui fait rétré­cir : une main et une bou­teille bien plates remontent à la ver­ti­cale à un mètre de mon visage, tan­dis que la tête d’A­lice est bien posée sur l’é­cran du ciné­ma, là-bas, à cinq mètres. Ridi­cule, rien de moins.

La bonne nou­velle, c’est qu’Alice au pays des mer­veilles est le plus mau­vais Tim Bur­ton que j’aie vu. Du coup, j’ai moins l’im­pres­sion qu’une tech­no­lo­gie mal uti­li­sée m’a gâché le film.