Sellé, casqué, prêt à mourir
|Mon estimé ex-confrère Luc Saint-Élie, qui consacre désormais sa vie à démontrer aux jeunes et jolies femmes que les appareils photo Panasonic les protègent des vergetures, n’a pas perdu ses vieux réflexes : quand une information tombe, il convient de lui appliquer la plus grande réserve et de la remettre en perspective. Surtout quand elle émane de l’association d’un institut de sondage et d’une entreprise privée (ou d’un ministère), repose sur des chiffres obtenus téléphoniquement et permet des titres-chocs du style “65 % des Français ont déjà bousillé une télécommande un soir de match, achetez ma housse en caoutchouc“¹.
Donc, cycliste convaincu depuis qu’il testé l’absorption des chocs à haute vitesse sur sa Jaguar, Luc nous fait régulièrement part de ses réflexions à deux roues par le biais du blog Velofun.fr, et se permet occasionnellement de reprendre son ancien métier pour faire un véritable article d’analyse. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le “9 Français sur 10 jugent le vélo dangereux en ville” asséné récemment par Axa le laisse dubitatif.
Moi aussi, d’ailleurs, mais ce n’est pas le débat.
Donc, pour ma part, je voulais juste témoigner d’un truc qui m’a frappé dans le débat sur le port du casque à vélo. Celui-ci se résume en gros trop souvent à des “le casque c’est nul, c’est pas staïlé” (rarement, avouons-le) ou à des “faut que tout le monde en mette, trois quarts des tués à vélo décèdent d’un traumatisme crânien”. Donc, pour la plupart des cyclistes, c’est : je mets pas de casque, puis un jour je me vautre, je m’ouvre le crâne et je passe une semaine en observation à l’hôpital (scénario optimiste), et après je mets un casque.
Je fais donc partie d’une population assez exceptionnelle : j’ai arrêté de mettre un casque à vélo. Et ça, ça me paraît intéressant.
Première chose : j’ai jamais aimé avoir un casque. J’ai très vite très chaud quand je m’active et, aussi aéré soient-ils, tous ceux que j’ai testés nuisaient à ma régulation thermique. Et j’ai pris de nombreux gadins, et ma tête n’a jamais porté : ce sont les genoux et les mains qui ont pris le maximum, plus rarement le dos ou les hanches (les joies du plantage dans les buissons)…
Deuxième chose : oui, 3/4 des cyclistes tués meurent d’un traumatisme crânien. Ça ne veut pas dire que le traumatisme crânien soit courant dans les accidents de vélo : en fait, mourir d’un accident de vélo est assez rare — la plupart du temps, on y laisse un poignet, mais on ne meurt pas souvent d’une fracture du poignet. Ça veut juste dire qu’en cas d’accident grave à vélo, c’est généralement la tête qui est touchée. Je peux dire que la plupart (j’ai la flemme de chercher la proportion exacte) des accidentés à pieds sont blessés aux jambes ou aux hanches, ça sera tout aussi vrai et personne n’aurait l’idée d’en tirer des conclusions imposant le port d’un futal en kevlar à tous les piétons.
Reste que oui, je veux bien porter un casque pour protéger ma tête (qui est également mon outil de travail ^^ ). Mais il y a un obstacle de taille.
Pour bien comprendre, demandons-nous si j’ai un vélo. Ai-je un vélo ? Non, je n’en ai pas. Pourquoi donc ?
Parce qu’un vélo, c’est encombrant et malpratique. Comme tous les véhicules, c’est utile pour se déplacer et super chiant le reste du temps : on risque de se le faire chouraver, on sait pas où le garer, on peut pas le garder sur soi, et si on est venu avec on doit repartir avec (et par les temps qui courent, ça peut vouloir dire prendre une douche le soir en rentrant à la maison)…
Je suis donc un grand malade du Vélib’, le vélo à la demande, que je prends pour un trajet, que je pose quand je n’en ai plus besoin, sans me préoccuper de savoir ce que j’en ferai si le métro ou les chaussures se révèlent plus adaptés pour mon déplacement suivant.
(Parenthèse amusante : mes parents ne manqueront pas d’y voir une analogie avec mon véhicule motorisé personnel, que j’ai tendance à déposer chez eux dès lors que je m’en sers pas. Quand on fera le Transporteraménagélib’, je serai le premier client. Fin de la parenthèse.)
Là, comme vous êtes intelligents, vous avez déjà compris : je veux pas de casque pour les mêmes raisons qui font que je ne veux pas de vélo. J’ai pratiqué le casque pour des sorties cyclistes : à ce moment-là, la protection reste sur le crâne du départ au retour et ne gêne jamais (au petit problème de refroidissement déjà évoqué près). Mais si je prends un Vélib’ pour aller au boulot, et qu’il s’avère que je doive ensuite traîner je ne sais où dans des lieux mieux accessibles par un autre mode de transport, ce casque va sérieusement me faire chier, qu’il encombre mon sac en prenant la place d’un 70–400 mm ou qu’il ballotte dessus en s’accrochant à tous les obstacles.
Le niveau d’emmerdements que je puis tolérer étant assez limité, si on m’oblige à mettre un casque dès que je monte sur un vélo, je risque d’abandonner le vélo. Purement et simplement.
On pourrait imaginer un Casquelib’, mais cela risque de poser quelques questions sur le plan hygiénique, les Français étant des gros porcs (faut vraiment que je fasse mon billet sur l’Islande). Donc, le scénario réaliste, c’est que j’arrête le vélo.
Or, cela va totalement à l’encontre du but affiché officiellement, qui est de proposer le pédalage comme alternative durable au moteur à combustion interne et comme outil de lutte contre l’obésité.
Comme, par ailleurs, le premier facteur d’insécurité extérieure aux cyclistes², si j’en crois mon expérience, c’est le caisseux qui tourne à droite (ou à gauche, ou qui s’arrête, ou qui ouvre une portière…, il existe plusieurs variantes) sans regarder et coupe la route à un vélo passant au même moment. Le corollaire, c’est que le premier facteur d’amélioration de la sécurité, serait que les motorisés prennent l’habitude de faire gaffe aux vélos. Et cela restera impossible tant que les cyclistes ne représenteront pas plus de 2 % du trafic…
On gagnera donc probablement plus en sécurité en faisant passer à 10 % du trafic les cyclistes sans casque qu’en rendant le casque obligatoire, ramenant ainsi le vélo à 5 ‰ des déplacements…
¹ J’ai la flemme de chercher au fond de la poubelle on je l’ai placé sitôt ouvert, donc le chiffre est hautement approximatif, mais j’ai souvenir d’avoir récemment vu passer un communiqué de presse sur un sujet de ce genre — qui concerne au premier chef un testeur d’appareil photo, n’est-ce pas, mais attaché de presse est un métier où l’on est payé pour spammer comme journaliste est un métier où l’on est payé pour se mêler de ce qui ne nous regarde pas.
² Laissons de côté les facteurs d’insécurité dus aux cyclistes eux-mêmes, genre “je traverse au rouge pasque j’ai pas de plaque donc pas d’amende” ou “je zigue-zague entre les voitures pasque c’est fun”.