15 commandements de la bonne attachée de presse
|Mes lecteurs réguliers le savent : je gagne ma vie en accumulant, traitant et publiant des informations, activité traditionnellement appelée “journalisme”. En l’occurrence, les informations concernent les appareils photo numériques, dont j’explique au quotidien comment qu’ils sont bons ou pourquoi c’est de la daube.
Le journaliste n’est rien sans l’attachée de presse — qu’on conjugue généralement au féminin, tant la proportion de mâles dans cette activité est faible, désolé Philippe. Sans elle, le journaliste n’est en effet pas informé, pas à jour, pas intoxiqué, pas distrait, pas amusé, pas même énervé. Ah oui, parce que des fois, ces dames sont énervantes. Voici une petite série de conseils à mes ennemies préférées : comment être une bonne attachée de presse, vu par le prisme du journaliste.
- N’appelez pas au téléphone. Oui, le journaliste fait parfois des choses un peu prise de courge. Surtout celui qui fait du journalisme technique écrivant sur un pure player¹, qui est appelé à l’occasion à se transformer en programmeur ou en laborantin. Quand il vient de passer une demi-heure à bricoler des fichiers binaires avec un éditeur hexadécimal ou à chercher dans le DOM de Firefox 4 bêta pourquoi son bel article ne marche plus, la simple sonnerie du téléphone lui provoque un accès de rage susceptible de mettre en danger son entourage. Le journaliste pure player aime le courriel, la messagerie instantanée Facebook, à la limite les rencontres de vive voix, mais cet accessoire antédiluvien qui exige une réponse immédiate l’énerve au plus haut point. En plus, le téléphone ne laisse pas de trace écrite et comme le journaliste pure player fait vingt choses à la fois, il en oublie les trois quarts.
- N’envoyez pas un courriel de plus de 1 Mio. Certaines attachées de presse n’hésitent pas à envoyer avec un CP² une dizaine de visuels³ de 15 Mpx en Jpeg à 98 %. C’est très bien pour les journalistes qui vont tout tirer en 20x30 sur papier photo, mais le pure player (et même bien des journalistes papier, qui utilisent surtout des vignettes de 3 cm de côté) n’en a cure : au mieux, son site lui offrira 1000 px de large. Ayez plutôt votre propre site et insérez dans le courriel le lien vers les visuels proposés. À défaut, utilisez n’importe quel espace de stockage style RapidShare et envoyez‑y un gros fichier Zip (ou un Bzip2 si vous êtes joueuse) avec vos images. Dans le courriel lui-même, mettez une image de face, une de trois quart et une de dos, en 1000 px de large et compressées à 85 %, ça suffira.
- Ne coupez pas un courriel. Ne terminez jamais un courriel par “les visuels dans un prochain mail” : le journaliste qui lit ça voit immédiatement sa tension monter de trois points — si vous écrivez ça, c’est que votre logiciel a refusé de tout envoyer d’un bloc, et donc que votre courriel est trop lourd, cf. § précédent.
- N’envoyez pas de courriels multiples. On sait que vous avez passé une journée sur votre communiqué, qu’il vous a fallu déployer des trésors d’ingéniosité pour donner l’impression que la daube vendue par votre client était un produit innovant et révolutionnaire, et que vous voulez l’amortir. Inutile pour autant de l’envoyer deux fois, ou d’envoyer une relance le lendemain : votre prose ne sera pas lue deux fois plus. En fait, vous n’arriverez qu’à vous faire maudire avec vos descendants jusqu’à la 78è génération. Mention particulière à celles qui envoient en double ou triple un courriel contenant 20 Mo de photos, et qui relancent le lendemain par téléphone.
- Méfiez-vous des adresses collectives. Nombre de publications utilisent, en plus des adresses individuelles des collaborateurs, des adresses collectives, du genre communiques@magazine.ext. Celles-ci sont généralement répercutées sur plusieurs journalistes : évitez d’envoyer le même courriel sur leur adresse individuelle et sur une adresse collective, surtout s’il contient 20 Mo de photos.
- N’envoyez pas de courriels inutiles. Je traite les appareils photo. Je peux ponctuellement intervenir sur d’autres domaines, comme les systèmes d’exploitation. Mais franchement, les communiqués annonçant le dernier modèle de vibromasseur⁴, je m’en bas l’œil. Et s’il y a 20 Mo de visuels montrant ledit produit sous tous les angles, ça n’arrange rien — surtout si je l’ai reçu deux fois sur mon adresse perso et deux fois sur l’adresse collective.
- Bref, ciblez les destinataires. Assurez-vous avant de mettre quelqu’un dans la liste des destinataires qu’il est bien concerné, qu’il n’est pas déjà présent dans une adresse groupée et qu’il n’a pas démissionné. Ça peut paraître beaucoup de travail, mais je vous assure que c’est rentable : pour prendre mon cas, il y a des attachées dont j’ouvre systématiquement les courriels, parce que je sais que sauf accident ils me concernent, alors que d’autres passent à la poubelle après une lecture diagonale du seul titre.
- Corollaire de ce qui précède, connaissez vos journalistes. Sachez qui bosse pour qui, si possible qui fait des piges pour qui dans le dos de son employeur officiel⁵, et anticipez leurs demandes — par exemple, vous savez forcément que j’exige les fiches techniques des appareils, assurez-vous qu’elles soient dans le courriel ou sur votre site.
- Connaissez vos journalistes. C’est le nœud de votre métier. Par exemple, lorsque vous organisez une conférence, si l’une de vos journalistes est enceinte, pensez à prévoir quelques jus de fruits (même si, c’est bien connu, c’est une profession de pochards). Sur un VP⁶, évitez d’installer dans la même chambre un pigiste et son ex-employeur qu’il a traîné aux prud’hommes. Et si vous invitez des Nums à une conf, faites un tour à la boulangerie pour acheter un plateau de macarons : pour 10 €, cette attention personnalisée les touchera plus qu’un magnum de Dom Pérignon 96.
- Connaissez vos journalistes. J’insiste. Il n’y a rien de pire que de donner une réponse approximative à un gros techos velu dans mon genre — au pire, dites “je sais pas, demandez au chef produit” — ou de sortir une plaisanterie grivoise à un maniaque coincé. Sachez avec lesquels il est bienvenu de papoter, voire de raconter des conneries, et avec lesquels il vaut mieux rester boulot-boulot. Sachez aussi qui s’entend avec qui, et évitez religieusement de critiquer un journaliste devant un autre à moins d’être absolument certaine de ce que vous faites : les journalistes forment une caste et, même s’il n’apprécie pas particulièrement son confrère, celui à qui vous aurez fait cette confidence vous en tiendra rigueur.
- Ne faites pas de promesses, surtout si vous n’êtes pas certaine de les tenir. Les journalistes ont des trucs appelés “bouclages”, durant lesquels ils doivent fournir les articles demandés en temps et en heure. Les pure players ont un bouclage permanent. S’ils ont besoin d’un produit et que vous leur dites qu’ils l’auront, c’est qu’ils l’auront. S’ils ne l’ont pas, ils sont dans la merde, leur rédaction est dans la merde, ça nuit à l’ambiance, le journaliste doit trouver un sujet bateau en remplacement et le finir à l’arrache dix minutes avant la publication — voire dix minutes après. Et le journaliste déteste être bousculé et finir à l’arrache : il aime croire qu’il est organisé, même s’il est pathologiquement incapable d’arriver à l’heure ou d’avoir de quoi prendre des notes. Corrélativement, il aime rejeter la moindre faute d’organisation sur une attachée de presse, surtout si elle est stagiaire et vient de lui envoyer un courriel de 20 Mo sur les kits de décoration pour cadre photo.
- Ne soyez pas un simple oiseau des îles. Oui, vous avez été embauchée pour être colorée et décorative. Mais si vous n’êtes que ça, on va vite vous prendre pour une potiche. Soyez efficace, performante, amusante si le journaliste s’y prête (cf. §10). Connaissez vos produits, le journaliste sera heureux de voir qu’il n’est pas le seul à se prendre la tête à essayer de démêler une gamme de clones. Une petite touche d’impertinence peut être appréciée par certains. L’arme ultime : reprendre votre client discrètement, en laissant entendre que vous connaissez mieux le produit que lui. Carton plein assuré.
- Sachez la fermer si le vent tourne. Si on vous demande votre avis personnel, vous avez deux solutions : dire que le produit est merdique ou la fermer. Si le journaliste aime le produit, il ne vous demandera pas votre avis, il sera trop heureux de vous donner le sien. Dire “c’est de la merde”, juste “c’est pas le truc que je prends le plus de plaisir à vanter” ou même “boaf, moi, je suis payée pour aimer”, ça peut vous mettre en porte-à-faux vis-à-vis de votre client. Dire “j’adore”, c’est passer au mieux pour une hypocrite, au pire pour une conne. Donc, jouez la carpe ou lâchez un bref “le produit s’insère parfaitement dans la gamme”. Avec un peu de bol, si le reste de la gamme est aussi merdique, ça pourra même créer une connivence avec les gilets à poches⁷ du coin.
- Ne draguez pas les journalistes, et ne les laissez pas vous draguer. Ou alors, exceptionnellement⁸ si vraiment il y en a un qui vous plaît, mais sélectionnez sévèrement. En tout cas, n’en faites pas une habitude : les journalistes sont des mâles et des ivrognes, ce qui leur fait deux bonnes raisons de bavarder quand ils se croisent le soir — les pure players sont encore pires, puisqu’ils ont des gènes de geek à l’intérieur. Les histoires de cul font de bonnes histoires de comptoir ; les réputations se construisent donc à la même vitesse⁹.
- N’écoutez jamais un journaliste qui vous donne un conseil, même sur son blog perso. Soit il essaie de vous embrouiller pour voir comment vous allez vous planter à la prochaine conf, soit il veut avoir l’air gentil pour faire partie du prochain VP à la montagne, soit il souhaite vous séduire. Dans tous les cas, faites semblant d’apprécier les conseils, effacez-les de votre mémoire et faites à votre façon : envoyez-lui en huit exemplaires sur ses deux adresses un gros mail sur un sujet qui ne le concerne pas, sans fiche technique, joignez douze photos de 21 Mpx en Tiff, ajoutez une grosse blague grivoise au milieu et suffisamment d’erreurs pour montrer que vous n’avez rien compris au produit et relancez-le trois fois par téléphone. Ça lui fera les pieds.
Chères amies, on dirait pas comme ça, mais je vous aime bien. Parfois. La preuve, j’ai réactivé les inscriptions au cas où vous voudriez vous venger dans les commentaires. 😉
¹ Anglicisme signifiant “joueur pur”, qui désigne pour je ne sais quelle raison les médias publiant exclusivement sur Internet.
² Sigle désignant les communiqués de presse.
³ Barbarisme désignant n’importe quelle image accompagnant un CP.
⁴ Oui, j’ai vraiment reçu des CP là-dessus.
⁵ Cette pratique déloyale est bien entendue totalement légendaire. Pour ma part, je ne connais aucun journaliste qui fasse ça.
⁶ Voyage de presse, terme neutre désignant aussi bien une horrible journée faite de quatre heures d’avion, d’une conférence lénifiante et d’un sandwich que trois jours à la montagne en hélico.
⁷ Surnom donné par une attachée de presse, puis par ses consœurs, aux gros techos velus testeurs de matos, qui ont tout connu depuis l’Olympus OM‑1 et qui ont gardé de leur glorieuse jeunesse l’habitude de se promener avec un gilet Fujifilm prévu pour transporter trente rouleaux de HP5+. Utilisent désormais une desdites poches pour stocker leur iPhone, une seconde pour la batterie de rechange de leur D700, laissent les autres vides mais n’abandonneront jamais ce gilet qui a fait l’Afghanistan.
⁸ Vu le nombre de couples attachée de presse-journaliste en circulation, il serait hypocrite d’ériger la non-fraternisation en principe.
⁹ Y’a quand même quelques journalistes qui savent la fermer. Mais là, on en revient au problème de sélectionner sévèrement.