15 commandements du bon journaliste
|Après les 15 commandements de la bonne attachée de presse, il est temps de balayer devant sa porte. Voici donc les commandements du bon journaliste, en particulier pure player¹, qui devraient lui assurer une longue et harmonieuse relation avec les attachées de presse, les chefs produits² et les confrères.
Puisque mes contacts n’ont pas voulu s’en donner la peine (à part Philippe, attaché de presse sans e³, qui s’est arrêté au septième), je m’y colle.
- Arrivez à l’heure, et pas seulement aux excursions organisées par l’armée. Il y a deux ans, c’était “j’arriverai avec un quart d’heure de retard, ça sert à rien d’arriver à l’heure”. Les attachées ont donc avancé les rendez-vous, et maintenant j’entends “j’arriverai avec une demi-heure de retard” pour la même raison. Au train où ça va, les rendez-vous seront bientôt donnés la veille au soir, et il est peut-être temps d’arrêter cette course idiote. C’est pourtant pas compliqué d’être à l’heure : sauf exception, vous vivez à Paris, les conférences sont à Paris, et on peut calculer assez précisément le temps que prend un trajet intra-muros. Ne croyez pas que le petit retard de Ghesquière et Taponier vous exonère de cette politesse élémentaire : eux ont une excuse sérieuse.
- Lisez les CP avant de poser des questions. Les attachées de presse usent leurs doigts à les taper, et il arrive même qu’on y trouve des informations intéressantes — certaines osent même y inclure une fiche technique. En particulier, évitez de répondre “prix dispo ?“⁴ sans avoir soigneusement vérifié qu’il n’y avait pas écrit “Disponible fin août pour 223 kopecks” dans le CP, le courriel ou le diaporama de présentation.
- Ne confondez pas les marques et références. Oui, c’est compliqué de retenir la différence entre Shôka DMC-23 et Toma DSC-27, mais ça fait partie du boulot. Faites attention à la position des traits d’union, aux espaces, aux points. Et évitez de demander à l’attachée de presse de Shôka de vous envoyer un DSC-27 en test : avec un peu de bol, ces deux appareils aux noms quasi-identiques sont ennemis jurés sur le marché et la simple mention du concurrent lui provoque des crises d’urticaire.
- Connaissez vos produits. Alors là, soyons honnête : personne ne peut retenir par cœur les caractéristiques des 150 appareils photo (je ne parle même pas du reste) qui sortent chaque année. Mais sachez à peu près quelle gamme correspond à quoi, histoire de ne pas passer pour une bille en prenant un toutenplastoc à 80 € pour un appareil haut de gamme parce que vous avez confondu série S et série W.
- Ne confondez pas les agences de presse. Et surtout, suivez qui bosse pour qui. Parce que, non content de rajouter un interlocuteur entre vous et eux, les constructeurs changent régulièrement d’agence de RP⁵. Et ça risque de jeter un froid si vous vous en prenez à une attachée de presse de l’agence Parad’dit qui ne vous a pas invité au VP de Toma alors que Toma a précisément quitté Parad’dit avec pertes et fracas le mois précédent (comme quand on a raté un épisode des Feux de l’amour, mieux vaut la fermer dans le doute).
- Ménagez les chefs produits. Ils passent encore plus de temps que vous à apprendre les caractéristiques de leurs gammes. Chaque année, ils reprennent tout à zéro. Chaque année, des Nippo-Coréens d’Amérique du Nord leur expliquent que la nouvelle gamme écrase l’ancienne et les forcent à apprendre par cœur l’ensemble des détails qui font que c’est plus mieux. Alors, évitez de leur sortir de but en blanc : “boaf, c’est le même que l’an passé avec deux pov’ mégapixels de plus, mais on s’en fout puisque l’optique passait déjà pas”. Et s’ils vous rappellent que cette année, ils ont génialement et en première mondiale introduit la reconnaissance des chiens et des chats⁶, retenez-vous d’éclater d’un rire dément.
- Soyez sympas avec vos confrères. Évitez de leur dire que leur papier du mois dernier était bourré de conneries, surtout s’ils ont juste oublié de signaler le ME‑F dans l’histoire de l’autofocus (ou autre détail dont seul un gilet à poches confirmé peut avoir connaissance). Ne leur dites pas non plus, même sous couvert d’humour, que le papier est un medium mort et que, sans un site web bien maintenu, leur employeur va couler dans les trois mois. D’une part, ça vous fait passer pour un gros con arrogant (oui, les journalistes sont parfois assez perspicaces) ; d’autre part, c’est faux, les ventes de papier se maintiennent assez bien dans votre domaine. Et puis, le jour où vous vous ferez virer de votre pure player, vous serez bien content de trouver un poste dans le papier au lieu de devoir chercher un boulot qui ne vous donnerait plus droit à la CIJP⁷ et à l’allocation pour frais d’emploi⁸.
- Soyez gentil avec les attachées de presse. La plupart font sérieusement leur boulot et sont dans le poste idéal pour se faire engueuler par les chefs produits, les autres représentants des constructeurs et les journalistes. Et si elles ne vous prêtent pas le produit que vous voulez au moment où vous le voulez, c’est généralement indépendant de leur volonté : engueulez plutôt le chef produit qui ne leur a pas donné de stock presse suffisant ou le confrère qui ne l’a pas rendu en temps et en heure.
- Corollaire du précédent : rendez les produits en temps et en heure. C’est tentant parfois de vouloir garder un produit après l’échéance du prêt, mais c’est pas bien. D’une part, parce que votre confrère qui ne l’a pas encore eu attend que vous le rendiez pour pouvoir lui aussi le tester. D’autre part, parce que ledit confrère n’a pas lu le §8 ci-dessus et va s’empresser de passer un savon à l’innocente attachée de presse. Attention, rendez les produits, mais videz les mémoires : qui sait ce que le confrère suivant fera des photos que vous aurez laissées dans l’APN en test ?
- Soyez gentil avec les produits. Oui, à force de prendre des 2/10, des “pauvre” et des 32/100, certaines marques se lassent. Si en plus vous partez en guerre contre une caractéristique honteuse d’un produit, et quelles que soient vos excellentes raisons pour détester la valse des dalles, le non-support du 64 bits ou les puces GPS dont le principal effet est de pomper la batterie, vous vous exposez au blacklistage⁹ sur ordre direct et exprès du siège coréen ou japonais (qui, soyons honnête, n’a rien à foutre de savoir que vous avez 18 000 lecteurs par jour dans ce minuscule pays qu’on appelle la France).
- Écoutez vos lecteurs. Comme vous êtes pure player, vous avez forcément un forum où vos lecteurs se feront un plaisir de commenter vos articles et de vous donner des conseils. Discutez avec eux : ils ont plein de bonnes idées et peuvent vous signaler discrètement les erreurs avant qu’un confrère sadique (cf. §7) ne le fasse en public. Et puis, l’aspect communautaire de la discussion vous permettra de les fidéliser et de conserver une bonne image, ce qui les incitera à vous faire tester l’appareil qu’il auront acheté avec leurs sous quand son constructeur vous aura blacklisté.
- Sachez ignorer vos lecteurs. Oui, à la moindre modification des notations, vous allez en voir vingt demander votre mise à mort parce que “non mais le son stéréo, ça intéresse qui, franchement ?”. Oui, à chaque test, vous en avez dix qui vous insultent parce que vous n’avez pas parlé de telle fonction à la noix qui rendrait génial leur appareil préféré. Oui, ils se planquent derrière l’anonymat et, contrairement aux chefs produits, ne sont tenus à aucune réserve. Ne vous mettez pas martel en tête et envoyez-les chier vertement : mieux vaut rester droit dans vos bottes avec des règles claires que de revoir vos articles et changer les critères toutes les semaines.
- Buvez et mangez raisonnablement. Les attachées de presse compétentes connaissent par cœur nourriture et alcool préféré de chaque journaliste. A priori, elles pensent que si vous faites ce métier, vous avez forcément le foie cirrhosé et l’estomac distendu. Ne leur donnez pas raison et soyez celui qui reste debout. En plus, si les chef produits boivent avec vous, avoir oublié le lendemain ce qu’ils vous auront raconté après huit verres de pinot gris et trois mojitos sera une faute professionnelle.
- Ne draguez pas les attachées de presse. Ni les cheffes produits. Ni les consœurs. D’une part, vous découvrirez que leur large sourire est rigoureusement professionnel et qu’en dehors de ça, elles ont bien compris que vous étiez un connard arrogant (elles aussi sont parfois perspicaces) ; d’autre part, elles ont bien assez de dossiers sur vous du fait de votre ivrognerie en public sans en plus leur donner un aperçu de votre ivrognerie en privé. Bon, après, faut reconnaître qu’il y a quand même pas mal de couples dans ce genre qui fonctionnent, donc faites comme vous le sentez.
- N’écoutez jamais les confrères. Ils vous diront d’être poli, ponctuel, bienséant, discret et gentil avec tout le monde, mais en enquêtant un peu vous découvrirez qu’ils ont fait leur trou dans le milieu en se faisant remarquer d’entrée, par exemple en arrivant en sandales dans une soirée huppée, en arborant une crête d’Iroquois rouge fluo, en cassant le lavabo d’une attachée de presse un soir d’abus de vodka-orange ou en clamant à un chef produit que personne d’un tant soit peu honnête ne pouvait utiliser une autre expression que “grosse merde” pour parler de son appareil.
Allez, on s’arrête là. Je sais pas vous, mais moi, je me serai bien amusé ce week-end. ^^
¹ Mais si, souvenez-vous : anglicisme débile désignant ceux qui n’écrivent pas dans un journal papier, ne parlent pas à la radio ou à la télé, mais publient uniquement sur Internet.
² Personne chargée par un constructeur de gérer distribution et promotion d’un produit ou, plus souvent, d’une gamme de produits.
³ Si, si, ça existe. Euh non, il est même pas efféminé. Oo
⁴ Expression toute faite permettant de demander simultanément quand un produit sera effectivement disponible à la vente et son prix estimé.
⁵ Abréviation de “relations presse”.
⁶ Authentique.
⁷ Carte d’identité des journalistes professionnels. Plus communément appelée “coupe-file gratos pour les musées”, “visa pique-assiettes pour les soirées chic” ou “je vais pas me faire chier à demander une accréditation”.
⁸ Preuve que tous les privilèges n’ont pas été abolis le 4 août 1789, et que la dîme et la gabelle restent destinées à ceux qui n’ont pas trouvé le bon plan.
⁹ Anglicisme désignant le fait pour un constructeur de ne plus envoyer de CP, de ne plus inviter aux conférences et de ne plus prêter de produit, bref, de faire comme si vous n’existiez plus.