Les vainqueurs du remaniement
|Oups, j’ai utilisé un mot inadéquat dans mon titre. Remaniement, ça supposerait que l’on remanie quelque chose, ce qui implique d’ ”apporter des modifications”. Or, là, les modifications, faut une bonne loupe (genre microscope électronique) pour les trouver.
Quand on fait rien, c’est “néant” qui est adapté, mais le problème, c’est que “les vainqueurs du néant”, c’est un joli titre pour un film d’horreur spatial, voire pour un roman sur la seconde guerre du Golfe, mais ça le fait pas pour un billet politique. Et “les vainqueurs de la reconduction”, ça collait pas non plus, puisque justement ce qui ont gagné sont les rares qui n’ont pas été reconduits — ou qui ont été reconduits par Hortefeux : à la porte de leur cabinet.
Oui, parce que vous vous souvenez forcément de mon billet sur l’alternance, vous savez à peu près ce que je vais dire : les baisés sont ceux qui hériteront du bilan actuel.
Je ne suis pas étonné que Sarkozy ait souhaité garder Fillon. Fillon a, ces derniers temps, montré une certaine distance vis-à-vis de Naboléon, et sa cote de popularité a remonté aussi sec, ça a de quoi exciter un petit nerveux qui veut que tout le monde le regarde. Sarko n’est pas forcément mauvais tacticien, même s’il a misé sur Balladur à une époque où celui-ci était en train de se faire planter en beauté par ce renard de Mitterrand, il est rancunier et jaloux de tout ce qui concurrence son côté paon. Donc, Sarko garde Fillon pour pas couler seul, c’est bien fait, na.
Je suis plus étonné que Fillon ait accepté, ce qui me paraît une erreur stratégique à côté de laquelle Ferrari renvoyant Alonso derrière Petrov tout à l’heure passerait pour une partie de rigolade. Mais après tout, peut-être qu’il n’aime pas l’Élysée.
Parce que les vainqueurs de ce pseudo-remaniement, n’en doutons pas, sont ceux qui pourront se présenter en 2012 avec une étiquette de droite (la gauche sera en train de s’étriper autour des cadavres fumants de Royal et Strauss-Kahn) tout en incarnant le changement.
Autrement dit, ceux qui sont sortis aujourd’hui.
Hervé Morin espère en être. Il a été le premier à dire qu’il allait sortir et a déjà commencé le travail de sape, avec ses histoires d’équipe resserrée autour des fidèles. Faire passer le gouvernement pour la continuité du précédent, il n’aura pas de mal, lui rajouter l’étiquette “100 % Sarko” et la faire peser sur tout adversaire potentiel ne sera guère plus compliqué. Dire “c’est pas ma faute, ils m’ont jamais vraiment accepté parce que je faisais pas partie du club”, ça va forcément marcher. Et il a d’autant plus de chances qu’il va récupérer les voix socialistes qui n’iront ni au NPA ni à Europe Écologie — à moins que le PS arrive à s’unir correctement d’ici là, mais on parle de politique, pas de science-fiction. Son vrai handicap, c’est d’arriver à éliminer Bayrou, qui occupe le même territoire et continuera à se présenter aux présidentielles jusqu’à son dernier souffle.
Jean-Louis Borloo espère aussi. Mais pour lui, la tâche est plus compliquée. Il a sa bonne bouille de soûlard, et les Français aiment avoir un Dieu à leur image, mais il aura du mal à se présenter comme l’alternance après que tout le monde l’a vu à la place de Fillon pour continuer le boulot. Il a deux ans pour devenir un vrai “alternant”, et on peut parier que les porte-flingues de l’UMP s’attacheront à rappeler qu’il est de la maison.
Dernier vainqueur ? Allez, un troisième pour la route. Rama Yade sort finalement par la grande porte. Les Français ne retiendront pas trop ses bourdes, mais plutôt son côté social, et auront l’impression qu’elle a été virée pour avoir trop ouvert sa gueule et avoir été l’une des rares à oser se lever contre le président. Yade, victime de son honnêteté ? Ben voyons, et le père Noël en string aussi ? Elle était la favorite du maître, et c’est pas un poste où on arrive sans une bonne paire de dents et une déontologie à géométrie variable. Mais elle a un tapis rouge sous les pieds si elle joue cette carte : les Français aiment les victimes. La botte secrète, c’est que contrairement aux autres, elle a réussi à se garder d’une image d’arriviste et pourrait même se présenter comme la candidate des convictions contre ceux qui ne s’intéressent qu’à obtenir le poste suprême.
Et même moi, franchement, je dois dire qu’un second tour Yade — Royal, Yade — Borloo ou Yade — Strauss-Kahn, tant qu’à choisir quelqu’un qui ne m’inspire ni respect ni confiance, y’a des chances que je vote pour celle qui, au moins, sera décorative en photo dans les mairies.