Le petit bout de la lorgnette
Lu aujourd’hui sur le site d’Auto Hebdo :
Le nouveau moteur de F1 sera, comme il était attendu depuis plusieurs mois, un quatre cylindres 1.6 litre turbo à injection directe, avec une pression de suralimentation fixée à 500 bars¹, avec un maximum de 12 000 tours/minutes. La FIA espère ainsi « une réduction de 35 % de la consommation de carburant ».
J’adore voir des règlements de ce genre, qui favorisent l’imagination des ingénieurs et l’innovation technologique… L’objectif de la FIA, depuis quelque temps, est de contrer les critiques accusant la F1 de gaspillage (je m’étais amusé à faire le calcul, j’ai perdu le détail mais grosso modo, une saison de F1 pollue moins que deux journées de bouchons dans Paris). Donc, de pousser les écuries à adopter des moteurs qui polluent et consomment moins.
Ce que je trouve, personnellement, absolument hilarant (ou affligeant, à vous de voir), c’est la méthode employée. Le but affiché ? Diminuer la consommation. La solution ? Rajouter des contraintes aux motoristes.
Rappelons que la F1 est, sur le plan de l’architecture moteur, plutôt en retard sur la voiture de tourisme toute bête et plus encore sur son évolution, la voiture de rallye.
Depuis 1986, elle n’a plus droit au turbo, qui est la principale solution pour faire des moteurs plus performants à masse égale. C’est sur les Groupe A, puis sur les WRC, qu’a porté l’essentiel de la recherche sur la souplesse (les voitures de rallye étant limitées en puissance, les motoristes se sont concentrés sur la régularité du couple et la douceur de pilotage) et le rapport poids/puissance, que l’on a retrouvé directement sur les voitures de tourisme. Ce sont les recherches sur le turbo qui ont permis de créer des moteurs essence souples et coupleux, que l’on peut utiliser à bas régime en ville, et des moteurs diesel légers, compacts et néanmoins suffisamment puissants pour offrir des performances correctes à une voiture particulière.
L’injection directe, en particulier à rampe commune et haute pression, est pour sa part née sur les voitures de tourisme pour améliorer l’homogénéité du mélange air-essence et, par tant, accroître le rendement énergétique et diminuer les rejets de gaz non brûlés. Elle a également permis un meilleur contrôle du mélange, et l’on a vu apparaître ces dernières années des moteurs essence à richesse variable, fonctionnant en mélange pauvre — comme les diesel — à bas régime et ne se rapprochant du mélange stœchiométrique qu’à pleine charge, permettant de réduire la consommation à faible puissance.
Tout ça, la F1 en est dépourvue, pas parce que ça n’a pas d’intérêt (sous la pluie ou sur des circuits très tordus genre Monaco, la souplesse d’un turbo à géométrie variable améliorerait notablement le confort de pilotage), mais parce que c’est interdit.
Là, elle va tout juste rattraper son retard. Et pour se donner des allures d’avant-garde, s’équiper de systèmes de récupération de l’énergie cinétique qui ont, il y a quelque temps, été testés avec un bilan discutable, compliquent foutrement un système qui n’en a pas besoin, et n’ont aucune application pratique (sur route, on a déjà des “vraies” motorisations hybrides chez Toyota par exemple, qui font la même chose mais beaucoup mieux).
Mieux : imaginons qu’un ingénieur plus tordu que les autres trouve le moyen de faire bouffer 200 l d’essence à un 1,6 l turbo et gagne ainsi 20 % de puissance. À votre avis, il fait quoi ? Il renonce à cet avantage, parce que la FIA a dit que le but était de diminuer la consommation ? Arrêtons les conneries : son boulot, à l’ingénieur, c’est de maximiser les performances brutes, quitte à tuer tous les bébés phoques en les faisant bouffer au dernier panda.
Y’a pourtant une solution simple et évidente pour réduire la consommation : réduire la consommation. Genre, dire “maintenant, vous avez 130 l pour faire la course, et pas une goutte de plus”. Là, on aurait pu avoir des garanties que l’objectif de consommation serait atteint. On aurait pu aussi fixer cette seule contrainte aux ingénieurs, et à eux de trouver le meilleur système : combustion interne seule, hybridation avec de l’électrique, voire motorisation purement électrique et génératrice embarquée comme sur les locomotives, récupération d’énergie cinétique, pédalier intégré au cockpit… Cela aurait libéré les imaginations, éventuellement poussé à chercher des solutions techniques originales (genre ressortir des Wankel du fond des tiroirs, en version turbo avec post-combustion entre lumière d’échappement et collecteur pour récupérer le reliquat de puissance dans les hydrocarbures non-brûlés), et on aurait pu espérer que ces innovations servent un jour dans un domaine où il y a un vrai gaspillage à éliminer : la route.
Accessoirement, sur le plan sportif aussi, ça aurait pu être intéressant. Car il y a un précédent : la grande époque des 1,5 l turbo, au début des années 80. Époque où les puissances atteintes (de l’ordre de 1500 ch sur le V6 Renault) étaient totalement délirantes, d’autant que les turbos souffraient alors d’un retard notable et de montées en puissance extrêmement brutales qui envoyaient beaucoup de monde dans le premier mur venu. Époque où, pour limiter la casse et augmenter l’espérance de vie des pilotes, on a limité les moteurs turbo certes par la pression de suralimentation, mais surtout par la consommation d’essence.
Époque où un pilote calculait sa consommation tour par tour, en sachant qu’il pouvait grimper brutalement à plus de 1000 ch le temps de doubler un concurrent mais savait qu’il devrait alors faire deux tours avec un pied très très léger pour compenser le carburant perdu dans une seule ligne droite².
Bref, limiter la seule consommation a un intérêt technique, susceptible de faire avancer des trucs ayant des retombées sur les vraies voitures, et peut avoir un intérêt sportif si c’est bien géré. Mais à son habitude, la FIA préfère empiler des règlements de plus en plus restrictifs, au risque de voir un petit malin y trouver la faille magique qui le rendra intouchable (genre F‑duct, freins directionnels, suspensions contre-actives ou même ailerons en leur temps)…
¹ Sic. On va donc faire rentrer 800 l d’air dans le moteur à chaque tour, et on peut espérer raisonnablement des puissances de l’ordre de 100 000 chevaux. Je plaisante, y’a pas un matériau usinable connu qui supporterait ce traitement.
Plus sérieusement, on peut se moquer librement de Jean-Côme Decroos, mon confrère d’Auto Hebdo, qui a confondu pression d’injection (500 bars, normal pour une injection directe à haute pression) et pression de suralimentation… ‑_-
² J’ai souvenir d’avoir lu un résumé de course d’un certain Ayrton Senna da Silva, débutant chez Lotus-Renault à l’époque, qui expliquait quasiment tour par tour que “là, j’ai mis un coup de boost pour résister à Untel, j’ai réussi à le contenir, j’ai fait un tour en souplesse pour récupérer, là, il avait changé ses pneus, y’avait plus personne derrière alors j’ai fait quelques économies, ici j’allais changer les pneus et j’ai fait trois qualif avec un gros boost pour ressortir devant Untel” et ainsi de suite, jusqu’à “j’ai fini avec deux tours d’essence de marge, j’ai dû consommer un demi-tour pendant le retour aux stands, il reste cinq litres d’essence dans le réservoir”.