Naouël
|Bon, c’est inévitable, c’est la saison, tout le monde en parle.
De quoi ? Des prémices de guerre civile en Côte d’Ivoire ? De l’unité retrouvée des terroristes soi-disant anarchistes européens ? De la reprise de l’instruction concernant le naufrage d’un chalutier breton peut-être coulé par un sous-marin, peut-être pas mais quand même, on aimerait bien savoir ? De la panne de Skype ? Des quatre millions de demandeurs d’emploi en France métropolitaine, contre deux et demi selon le gouvernement ? Ou même, même, d’une prostituée footballistique qui se lance dans la fabrication de sous-vêtements ?
Non.
Tout le monde parle de Nowel, fête païenne de renaissance du soleil, piratée par un groupe de chrétiens qui en ont fait la naissance de leur divinité (mais que fait l’Hadœpi ?), reprise à son tour par des commerciaux sans scrupules.
Et tout le monde de s’extasier devant la ferveur des fidèles qui, bravant la neige, le vent et la froidure, se sont héroïquement entassés dans des boutiques pleines à craquer et ont fait preuve d’un acharnement et d’un courage dignes d’un éclaireur des marine en Irak. Des exemples de piété qui, les poches vides et les caddies pleins, se sont ensuite exposés sans faiblir aux inénarrables engueulades familiales, offrant à chacun un cadeau obligatoire — symbole de la communion, qui a remplacé le pain dans le rôle de la chair de Dieu — à une période où on est à quinze jours des soldes et où, soyons honnête, personne de sensé n’accepterait de dépenser un rond.
Çà et là, tout de même, une voix discordante se fait entendre, demandant si finalement le fameux cadeau n’est pas un peu une grosse connerie — faut admettre que offrir à des gens qu’on méprise des trucs qu’ils n’aimeront pas sous prétexte que c’est la tradition, c’est pas terrible comme idée — qu’il serait bienvenu de remplacer par un truc virtuel, abonnement à Spotify ou heure d’avocat, ça polluerait quand même moins que de faire venir de Chine des tombereaux de saloperies en plastique.
Mais QUI va dire qu’il est totalement crétin de se laisser dicter la date d’une fête par une religion, fût-elle commerciale ?
QUI va dire qu’il est irresponsable d’exiger de réunir la famille précisément ce soir-là, quand cela signifie transporter 10 millions de conducteurs incompétents et potentiellement bourrés sur des routes enneigées un jour d’alerte météo ?
QUI va dire qu’il aurait été bien plus intelligent de déplacer la fête du solstice de quelques jours, quitte à la fusionner avec le nouvel an et à rajouter une beuverie en février pour compenser ?
QUI va dire que, somme toute, faut être sacrément vicieux dans sa tête pour se dire en septembre “ah tiens, le Blu-Ray de Kick-Ass, ça plairait drôlement à Untel, mais je vais pas le lui offrir maintenant, je vais le faire lanterner jusqu’à Naouël histoire qu’il puisse pas en profiter pendant quinze jours¹” ?
Et QUI va dire qu’il faut être sacrément con pour se forcer à faire des cadeaux alors qu’on n’en a pas envie, étant donné que ce qui fait la valeur d’un cadeau, c’est justement l’idée “je pense à toi” qu’il véhicule — laquelle ne saurait être décidée par un diktat commercial ?
Si personne le fait, ce sera moi, comme disait la poule rousse².
Allez, joyeux Noël quand même, bande de poivrots.
¹ Vous aurez peut-être un avis différent, mais la scène de l’autoclave ou celle de la casse auto, personnellement, je les tenterais pas l’estomac plein et le sang alcoolisé. Ou alors, avec une bassine à portée de main.
² Qui était quand même une sacrée crétine, vu que dans un univers capitaliste elle aurait beaucoup mieux fait de planter son blé dans son coin sans rien dire à personne, et que dans un univers communiste elle aurait dû demander au politburo de déporter l’oie, le cochon et le canard.