De dont, les deux dons ?
Dans ma croisade personnelle contre les expressions superfétatoirement redondantes et non dénuées de répétitions, je demande : le “de dont”.
Souvenez-vous. C’était il y a longtemps, aux temps où le français se construisait. Comme dans beaucoup de langues, il y eut des adaptations, des choix, des trucs bizarres et d’autres extrêmement logiques.
Parmi les trucs logiques, la reprise des prépositions dans les pronoms relatifs introduisant une proposition subordonnée. Par exemple, si un verbe transitif indirect s’utilise avec la préposition “de”, la subordonnée correspondante est introduite par “dont”. Pour un verbe conjugué avec “à”, la subordonnée commence par “auquel”. Exemple : je parle d’une personne, c’est la personne dont je parle. Autre exemple : je pense à une personne, c’est la personne à laquelle je pense.
Ces derniers temps, la confusion généralisée entre transitif direct et transitif indirect, en tout cas à l’oral, a fait apparaître des monstres syntaxiques : “la personne que je parle”, “la personne que je pense”. Au passage, je crois que c’est un des rares cas où l’on peut considérer que effectivement, l’importation d’anglais mal digéré peut faire du mal au français — mal digéré parce que si cette structure rappelle ‘the person I speak of’ ou ‘the person I think about’, c’est oublier que les Anglophones conservent comme nous précieusement leur préposition : c’est juste qu’ils ne la mettent pas au même endroit et ne la transforment pas en pronom.
Donc, les gens normaux se sont plu à rappeler à la plèbe inculte qui présente les journaux télévisés que, bordel de Dieu, les prépositions existent et laissent des traces, sous la forme de pronoms relatifs.
Les journalistes sérieux, qui se flattent de tout maîtriser mieux que tout le monde, se sont donc fait un honneur d’utiliser les pronoms relatifs adaptés et de bannir de leur univers les horribles erreurs précédemment citées.
Cool.
Mais c’est sans compter les cas limites : ceux où l’on a le choix entre deux tournures.
Regardez bien.
“Je parle d’elle.”
Parler existe sous deux formes : transitive directe ou transitive indirecte (bon, y’a aussi une forme intransitive, mais on s’en fout).
Dans le cas présent, “elle” est un complément d’objet indirect, introduit par “de”. La tournure logique en version subordonnée devient donc : “c’est elle dont je parle”.
Mais une petite bizarrerie fait qu’ici, on accepte également le retournement en version transitive directe, comme dans “je parle cette langue” donnant “c’est cette langue que je parle”. Le “je parle d’elle” devient alors “c’est d’elle que je parle”.
Oui, “d’elle”, avec une préposition. Parce que dans ce contexte, tout se passe comme si “d’elle” était un bloc unique, complément d’objet direct du verbe.
Nous sommes tous d’accord — du moins ceux d’entre nous qui avons appris le français avec des auteurs un peu plus soigneux que David Pujadas et Jean-Pierre Pernault — : “c’est elle que je parle” est une horreur absolue, qui donne envie d’étouffer un panda avec les restes d’un bébé phoque à chaque fois qu’on l’entend.
Mais nos fiers journalistes, qui comprennent tout mieux que tout le monde (sinon, comment expliquer qu’ils décomptent 7650 € de leurs revenus, sur la seule sympathie qu’inspirent leurs beaux yeux ?), tiennent à bien marquer le coup. Les mauvais, ceux qui payent pour rentrer dans un musée, ignorent éhontément la préposition et se ridiculisent ainsi à la face du monde ? Très bien, nous allons leur montrer ce que c’est que de connaître plein de mots.
Et nous mettrons nous-mêmes préposition et pronom. Non mais.
Ça donne ceci, attention les yeux :
c’est d’elle dont je parle.
Vous avez vu ? Cette subtile et néanmoins émouvante allitération en D ? Deux dons, pardon, de + dont, c’est le bonheur.
En vrai, cette énervante habitude orale de certains crétins non-francophones se retrouve même désormais à l’écrit. Aujourd’hui, je l’ai même piochée dans Le Monde : “Laurent Ozon, puisque c’est de lui dont il s’agit, fait ainsi directement son entrée au BP du Front national .” Oui, avec une espace avant le point, aussi, mais la typographie fera l’objet d’un billet ultérieur.
Ajouter des difficultés aux difficultés, juste pour montrer qu’on les connaît, jusqu’à construire des phrases qui ne veulent plus rien dire et conchient la syntaxe de la langue qu’on prétend maîtriser : c’est un summum du snobisme. Je me permets donc, sans circonlocution alarmante et sans chercher à utiliser des termes et des tournures que personne ne comprend, d’aller à l’essentiel : j’emmerde les snobinards prétentieux qui pètent plus haut que leur cul au point de parler et d’écrire n’importe comment.