Kick-Ass
|de Mark Millar et John Romita Jr, 2008, ****
On a tous fantasmé de devenir un super-héros, de se balader avec un slip par dessus un collant et casser la gueule aux chieurs. Dave, lui, a été assez con pour le faire. Habillé d’un costume de plongée, il traîne dans les rues pour redresser les torts et devient une célébrité après avoir défendu une victime d’agression ; mais les choses se compliquent quand il tombe chez des vrais méchants, et se fait secourir in extremis par une gamine de dix ans en costume de super-héroïne, Hit Girl. Car parmi la cohorte de loosers inspirés par son quart d’heure warholien youtubien, il y a un couple qui sort du lot : Big Daddy et Hit Girl, vrais combattants, réellement redoutables, qui ont décidé de s’en prendre au parrain de la mafia locale.
La référence officielle de Kick-Ass, c’est la tonne de comics de super-héros parus depuis les années 30, vous savez : Batman, Spider-Man, Superman, Wonder Woman, The punisher…, qui ont tous droit à une référence plus ou moins explicite quelque part dans un phylactère ou une situation.
Mais franchement, dans ma bédéthèque personnelle, le volume qui se rapproche le plus de Kick-Ass, c’est l’intégrale de Ranx, cette “BD pleine de violence gratuite”, crade et explosive, lancée au début des années 80 par Tamburini et Liberatore. Kick-Ass est parfois drôle, mais ce n’est pas une série comique ; c’est avant tout une série d’action violente, décomplexée, reflet d’un univers sombre et trash. Ça dégouline d’hémoglobine à longueur de pages, dès la couverture en fait, et les coups pleuvent, et Kick-Ass n’est pas le dernier à se faire démolir.
Ayant découvert au préalable le film tiré de la BD, j’ai été brutalement déstabilisé par cet aspect. Le film joue beaucoup sur le registre de la comédie, anticipe un peu les retournements les plus brutaux — l’identité de Red Mist, notamment — et use en permanence du décalage entre Mindy, gamine de dix ans à la tête d’ange, et Hit Girl, combattante impitoyable et implacable.
L’œuvre originale est beaucoup plus sombre, beaucoup moins délirante et beaucoup plus sérieuse. Plus profonde aussi, par exemple en révélant l’identité réelle de Big Daddy, assez éloignée du romantisme de la version officielle (elle aussi directement inspirée des comics Marvel).
Du coup, Kick-Ass (film) et Kick-Ass (BD) sont plus complémentaires que réellement adaptés l’un de l’autre. Si la trame globale est semblable, la tonalité et la narration sont radicalement différentes, et il est malheureux que l’on ait attendu la sortie de l’un pour publier l’autre dans nos contrées : on a ainsi artificiellement amalgamé deux œuvres liées, mais bien distinctes, alors que le public américain a eu deux ans pour digérer la version sombre et faire connaissance avec la version fun. Il aura en tout cas fallu que je relise le papier presque un an plus tard pour saisir ses forces propres, alors qu’à première vue j’avais surtout été déçu de ne pas retrouver l’esprit délirant du film. Imaginons une seconde que le succès de Kaamelott vous ait fait relire Chrétien de Troyes : vous saisissez le choc ?
Cependant, au delà de cette erreur stratégique des éditeurs, Kick-Ass est une excellente BD d’action, trash, glauque, dans la lignée de certaines œuvres noires ou violentes comme Ranx, Sin city ou Les gardiens.