Nine Mile Island
|Depuis ce matin, on assiste à un mouvement amusant chez mes confrères : expliquer que oui, bon, on a beaucoup exagéré pendant quatre jours, parce que c’est là, maintenant, qu’il faut avoir peur.
C’est, bien sûr, la suite de mon billet de dimanche. Depuis, trois choses ont changé, qui justifient des billets plus alarmistes ; sauf que les journalistes ayant parlé de Tchernobyl pendant trois jours, ils ont du mal à grimper pour expliquer que maintenant, on s’approche du degré en dessous de celui de Tchernobyl.
Concrètement, ça donne un effet amusant : on entend enfin ce qui s’est passé vendredi et hier, pour expliquer pourquoi ce qui s’est passé ce matin est pire.
Trois nouveautés donc, disais-je.
La première : le domaine s’est étendu. De un réacteur fondu, chose presque habituelle (le plus connu était celui de Three Mile Island, mais on compte une dizaine de fusions plus ou moins graves dans l’Histoire du nucléaire civil, surtout dans les années 50 et 60), on est passé à trois, voire quatre : le numéro 3 a fait comme prévu et fondu dimanche ou hier (et comme le 1 avant lui, il a au passage généré de l’hydrogène et fait péter le bâtiment qui l’entourait) ; le numéro 2 a fondu aujourd’hui, et des soupçons portent sur le numéro 1 de la centrale Fukushima 2, à quelques kilomètres plus au sud. Vous noterez au passage l’élégant titre du présent billet : en résumant, on est à trois fois Three Mile Island.
La deuxième : le numéro 2 ne s’est pas contenté de fondre. Comme ses voisins, il a dégagé de l’hydrogène, lequel a entraîné une explosion. Mais contrairement à ses voisins, cette explosion, située plus à l’intérieur, aurait endommagé l’enceinte de confinement. Les radiations auraient donc bien plus de facilité à atteindre l’extérieur. Attention, c’est au conditionnel : il faut encore que la fonte du réacteur détruise sa cuve. Le problème, c’est que c’est peut-être, voire certainement, déjà fait, étant donné l’accroissement manifeste des rejets radioactifs.
La troisième : le réacteur numéro 4, ce vicieux éteint au moment du séisme, pose quand même des problèmes. Enfin, pas le réacteur, mais le stockage de ses déchets… Ceux-ci, toujours radioactifs, chauffent toujours, et doivent eux aussi être refroidis. Ils sont plongés dans une piscine, avec son propre circuit de refroidissement… mais celui-ci est, comme ailleurs, en panne. Et dans cette piscine, la température grimpe.
De mon point de vue de non-expert, c’est le point 3 qui paraît le plus inquiétant.
Une enceinte de confinement, c’est épais. Même abîmée (on parle de fuites, pas d’effondrement), ça limite sacrément la pollution possible. Le problème, c’est que cette pollution n’est pas contrôlée, au contraire de celle des dégazages volontaires effectués pour limiter la surpression à l’intérieur des enceintes et limiter les risques d’explosion.
En revanche, le stockage des déchets n’est pas situé dans l’enceinte de confinement, mais à proximité. Autrement dit, quasiment à l’air libre. Il y a eu un gros incendie sur place et des explosions ont abîmé le bâtiment. La salle de contrôle est trop polluée pour que les ingénieurs puissent y travailler durablement, et ça, ça me paraît très mauvais signe. L’absence de véritable confinement fait que même si l’activité du combustible usé est relativement faible par rapport à un cœur de réacteur, le risque de contamination paraît au moins aussi élevé.
Là, en fouillant un peu (oh, pas très longtemps), j’ai encore trouvé un précédent. Une usine de stockage de combustible usagé qui manque de refroidissement, ça s’est trouvé notamment à Mayak, en Russie, en 57. À l’époque, l’explosion d’un tank suite à un défaut de refroidissement avait projeté énormément d’éléments radioactifs, et cet accident a été depuis classé au niveau 6 sur l’échelle des événements nucléaires — il est pour l’heure seul à ce niveau, même si l’agence française milite pour que les accidents de Fukushima l’y rejoignent.
Bien sûr, rien n’indique qu’un tel scénario soit en vue, rien que les techniques de stockage étant totalement différentes (des caissons enterrés à Mayak, des éléments immergés à Fukushima). Mais savoir que des déchets nucléaires quasiment à l’air libre ne sont plus refroidis, ça m’inquiète plus que de me dire que du combustible actif mais neutralisé est en train de fondre sous une enceinte.
Ceci étant, tout ça n’est toujours pas comparable à Tchernobyl. C’est même totalement différent, d’une part parce que le combustible a été neutralisé à Fukushima alors qu’il s’est emballé à Tchernobyl, d’autre part parce qu’il vaut mieux être sous une enceinte même mal-étanche qu’à l’air libre.
Bon, bien sûr, rien de tout ça ne serait arrivé si on avait évité de construire ces gros pétards, et c’est une bonne occasion de se demander si produire toujours plus est réellement une meilleure solution que d’isoler tous les bâtiments et limiter la consommation. Mais c’est une autre histoire…