Cinq
|Depuis quelque temps, le père Larcenet publie les réponses de plein de gens, enfin, de plein d’anciens de Fluide glacial, à la question par lui posée : “quels sont les cinq disques qui vous ont retourné comme une crêpe ?”.
Bien que n’étant pas convié à répondre, ça m’a fait réfléchir un peu et je suis arrivé à une petite liste. La voici donc.
Le quatrième album de Led Zeppelin
Pour la petite histoire, j’ai découvert la couverture de ce disque à l’instant… Je l’ai connu par un vinyle espagnol dans une pochette grise, avec la liste des morceaux d’un côté et les paroles de Stairway to heaven de l’autre.
Donc, bien sûr, je connaissais cette histoire d’escalier, c’est le premier morceau hard que j’ai pu écouter — sans doute parce qu’il monte progressivement et que du coup, le final est moins brutal.
Et puis, je tombe sur le disque. Et la baffe, c’est très exactement le premier vers, qui annonce la couleur : hey mama, said the way you move, gonna make you sweat, gonna make you groove. C’est gentil, c’est une voix un peu blues, et pis vlan, batterie, basse et guitare en pleine gueule, putain c’est quoi ça ? Black dog, ça s’appelle. Derrière, ça part dans tous les sens, l’intro mandolinesque au côté pop-folk de The battle of Evermore, la progression implacable du slow planant au hurlement métal de Stairway to heaven, les chœurs et l’impeccable ligne de basse de Misty mountain hop, la gentillesse bluesy de Going to California, pour finir sur la brutalité animale de la section rythmique de When the levee breaks… Pour moi, éduqué dans la folk et le protest-song, le rock est né et il ne mourra plus.
Sounds from the fourth world, de Calvin Russell
En couverture, une espèce de cow-boy texan à la peau burinée, qui pue la sueur, le mauvais whisky et la poussière. À l’intérieur, du country-rock bluesy à souhait, une voix grave et rocailleuse cassée par l’alcool, des guitaristes qui font pleurer une Fender comme personne… Et des chansons, non, pardon, des histoires, noires, désespérantes, le cauchemar américain dans toute sa splendeur.
Et le chef-d’œuvre jazzy de Josh White, One meat ball, dans une reprise dure, anguleuse, râpeuse, anti-swingueuse au possible… Et puis Crossroad, que j’ai écoutée en boucle pendant des mois en me demandant si c’était possible d’envoyer bouler l’informatique et quoi faire derrière — oui, c’était cette époque-là… Et les pickings de Down down down… Ouais, c’est vrai, les Américains boudent Calvin parce qu’il a un peu trop tendance à leur dire qu’ils sont des gros beaufs fachos et qu’il continuera à fumer de l’herbe même si ça leur plaît pas ; ben tant pis pour eux, nous, on l’aime.
Vendeurs de larmes, de Daniel Balavoine
Alors oui, je sais, c’est kitschounet, ça a un peu vieilli, tout ça. Mais voilà : Balavoine, pour moi, c’était une voix de tête qui avait fait du rallye-raid et avait eu l’idée saugrenue de profiter de la logistique du Dakar pour faire de l’humanitaire¹. Un jour, je suis tombé sur un documentaire sur lui et j’avais rien de mieux à faire. Et là, le choc : Vendeurs de larmes, critique verte des chanteurs de charme qui refourguent des chansons de rien juste pour nous piquer nos femmes.
Puis, je découvre l’album. Et là, le vrai retournement : y’a que de l’or, un peu partout. Je veux de l’or, cynisme humoristique, Vivre ou survivre, tragédie, C’est fini (qui parle forcément pas mal au maniaque de cinoche qui sommeille en moi), Y’a pas de bon numéro, et surtout Viens danser. Curieusement, ma préférée de Balavoine, Frappe avec la tête, n’est pas sur celui-ci, mais c’est l’album qui m’a marqué.
¹ Claude Brasseur, si j’ai bonne mémoire, disait en gros : “il était venu pour s’amuser, et puis il a dit “eh, attends, y’a des gens là, derrière le pare-brise”. Il a été le premier à s’en rendre compte”.
Inquisition symphony, d’Apocalyptica
On est tous d’accord : les quatuors à cordes, c’est chiant. En tout cas, c’est la sévère conviction que mon prof de musique m’avait inculquée, à force de nous faire écouter des violons de classiques mollassons.
Cette conviction fut brutalement ébranlée lorsque je tombai par hasard, sur le DVD où un collègue me passait sa part d’un devoir à mettre en page, sur Inquisition symphony. Dès le lancement d’Harmageddon, le traitement électrique, noir, métallique des sonorités des violoncelles est un truc totalement nouveau, que j’ai jamais entendu avant — mes connaissances en métal sont faibles. La reprise de Nothing else matters, tube extrêmement connu sauf de moi, commence comme un morceau de classique, avec un pling-plong un peu monotone et de l’archet sans effet particulier, puis l’harmonie se complique au fur et à mesure que les autres arrivent, et la fin est un élégant bourrinnage à la fois doux et énergique. Quasiment tous les morceaux sont des reprises, mais de gens que je n’écoute pas (si, j’avais entendu For whom the bell tolls quelque part, je crois), donc ça ne me choque pas ; par contre, c’est radicalement opposé à tout ce que j’avais écouté et je suis surpris d’accrocher, de trouver une ambiance, une harmonie à cette langue que je n’ai jamais étudiée mais qui me fascine. En fait, c’est juste beau, même s’il me faudra encore quelques semaines pour vraiment le comprendre.
Echoes, de Pink Floyd
Alors oui, j’entends déjà les puristes tousser : Echoes n’est pas un album, enfin, y’a même écrit “best of”, tout ça. Sauf qu’un best of des Pink Floyd contiendrait forcément A saucerful of secrets et Is there anybody out there ?, bordel !
Echoes, c’est plus qu’une compil : c’est un univers. Le choix des morceaux vise plus une unité tonale qu’un simple suivi des top 50 du groupe, on trouve l’immortel mais jusqu’alors inédit When the Tigers broke free, des retouches ont été effectuées et certains morceaux sont raccourcis ou modifiés pour mieux coller à l’harmonie de l’ensemble… et ça s’écoute comme un (double) album, sans rupture, passant d’ambiance en ambiance sans réelle coupure. Et c’est beau, poétique et planant, et j’ai vécu plein de choses sur ce CD, donc c’est un des cinq albums et pis c’est tout.