Ce cher Dexter
|de Jeff Lindsay, 2004, ****
Dexter est un homme charmant. Bien habillé, sympathique, gentil, sérieux et méticuleux dans son travail — analyser les traces de sang sur les homicides —, il est le grand frère parfait, le collègue qui a toujours le bon mot au bon moment pour détendre l’atmosphère, et même le galant parfait qui attend sans broncher depuis des mois que cette jeune mère célibataire accepte d’aller plus loin. Il est impeccable, parce que les robots sont impeccables : dépourvu du moindre sentiment, c’est l’instinct de survie qui lui fait feindre les relations humaines pour se fondre dans la masse, attendant son heure pour s’offrir la seule activité qui lui fait vraiment plaisir : découper impunément les criminels locaux — parce que son beau-père, flic, a eu la gentillesse de lui apprendre à tuer discrètement.
Cette petite vie bascule lorsqu’une série de prostituées sont retrouvées exsangues et découpées en morceaux. Expert en sang, il n’a rien à analyser, mais ces crimes lui parlent singulièrement, comme un écho lointain. Et bientôt, le meurtrier semble s’adresser directement à lui…
Soyons clair : Ce cher Dexter n’est pas un monument de la grande littérature anglaise. La langue est en fait assez basique, quotidienne, sans recherche particulière ; Lindsay est plus un auteur rythmique, un “faiseur” efficace, qu’un grand lyrique.
Mais c’est aussi un avantage : le roman se lit parfaitement bien. Il coule tout seul, sans nécessiter d’effort intellectuel, et imprègne d’autant plus facilement son lecteur. L’histoire est assez linéaire, au point de paraître beaucoup moins fouillée et développée que la première saison de la série télévisée dérivée, il est vrai délayée sur neuf heures alors que le livre est assez court.
Et l’on se prend d’autant plus facilement à se fasciner pour les interrogations cyniques mais souvent bien vues de Dexter, qu’il s’étonne de la puissance physique que peut développer un journaliste qui a flairé l’odeur du sang, qu’il frôle l’aphorisme philosophique en parlant des bas-quartiers de Miami, qu’il admire le manque absolu de talent d’humoriste de son collègue ou qu’il médite profondément sur son inconscient.
Il y a tout de même un aspect qui m’a paru plus réussi que dans la série : la relation avec Rita. Moins développée, voire traitée par dessus la jambe par un écrivain qui ne s’y intéressait pas outre mesure, elle offre tout de même un grand moment lorsque Dexter transcende la frustration d’un échec criminel pour la transformer en imprévu exutoire charnel. C’est finalement assez symptomatique d’un roman à la trame assez prévisible (même sans avoir vu la série, qui diffère d’ailleurs considérablement, on a vite fait de comprendre où on va), entrecoupé de quelques instants de grâce, quelques bouts de chapitres particulièrement réussis.
Un peu comme si Roland Emmerich avait entrecoupé 2012 de morceaux de American beauty, en somme.