Fête martiale
|C’est, paraît-il, le scandale du jour. Il semblerait que ce soit plus grave que les séismes tōkyōïtes (PP, si tu me lis : les hôtels c’est solide quand même 😉 ). Ça, c’est la déclaration de la candidate à la présidentielle pour qui il est à l’heure actuelle le plus probable que je vote : Eva Joly souhaiterait qu’on remplace le défilé militaire du 14 juillet par un défilé civil, avec écoliers en lieu et place de légionnaires.
Personnellement, la proposition m’en touche une sans faire bouger l’autre. Je n’ai pas d’attachement à l’armée, sans non plus lui adresser une hostilité systématique ; je n’ai par ailleurs pas d’attachement au défilé, ni même du reste à la nation — cette idée fantaisiste selon laquelle un Lillois aurait plus en commu avec un Rennais qu’avec un Liégeois, sous le prétexte qu’ils appartiendraient à un même ensemble arbitrairement arrêté au Quiévrain.
Mais elle me fait réfléchir.
D’abord, retour sur les mots. Le 14 juillet est, dans le pays que j’ai l’avantage d’habiter, qualifié de “fête nationale”. Nationale. Pas martiale, pas civile : nationale. Ce n’est donc pas nécessairement le jour où l’on montre les armes, ni celui où l’on les cache ; c’est celui où l’on célèbre la Nation.
Une nation, surtout administrée par une jeune et frêle République entourée de monarchies décidées à l’envahir, a tout intérêt pour son jour à elle à montrer sa force. De là, je pense, vient l’habituel défilé militaire : la France profite de sa fête nationale pour montrer aux autres qu’ils n’ont pas intérêt à l’attaquer.
Ce défilé militaire est-il d’actualité aujourd’hui ? D’une certaine façon, oui : la nation française est engagée dans plusieurs guerres, en Afghanistan et en Libye notamment.
Y a‑t-il pour autant autre chose à montrer pour la fête nationale ? Oui, sans doute. Cette question rejoint en fait celle de l’identité nationale, qui est loin d’être tranchée ; mais il est quelques valeurs portées par l’État français, auxquelles les nationaux français sont donc supposés adhérer un minimum, que l’on pourrait célébrer par la même occasion. Il me semble que la Nation, pour autant qu’elle existe, est attachée par exemple à l’éducation ; l’idée de faire défiler des enseignants et des élèves ne me paraît à ce titre pas absurde. Il est d’ailleurs notable qu’il n’y a pas que des militaires qui défilent : la Sécurité civile a ainsi fait passer Milan 73 et Milan 74 entre deux avions d’armes ; pourquoi donc ne pas étendre le défilé à d’autres fiertés nationales ?
Oui, dit comme ça, on va se retrouver avec une équipe de handballeuses. Après tout, pourquoi pas ?
Il est notable, d’ailleurs, que la fête nationale commémore d’une part l’union du roi et de ses sujets autour de la Constitution (fête de la Fédération, 1790), et d’autre part un événement qui n’avait pas grand-chose de martial : la prise de la Bastille, c’est-à-dire un assaut civil sur une prison qui avait depuis longtemps perdu son statut de fort. Dès lors, il paraîtrait logique de fêter les hauts faits civils lors de cette journée.
Quant aux associations d’anciens combattants, qui s’insurgent contre l’éventuelle “civilisation” du défilé, elles ont déjà une journée qui leur est dédiée. Et puis, elles me semblent plus représenter les anciens combattants fiers de s’être battus, avec un relent belliciste assez discutable, que l’ensemble des anciens combattants, y inclus ceux qui, dégoûtés par les violences vécues, ne souhaitent pas qu’on leur rappelle leur expérience martiale.
Ceci étant, je vais poser une question peut-être plus brûlante que celle de la présence renforcée de civils au défilé : est-il bien opportun de maintenir une fête nationale, à l’heure où la construction européenne et la stabilité économique sont précisément mises en danger par les réflexes nationalistes, qui font refuser des projets destinés à l’Union européenne au prétexte qu’ils vont coûter à l’Allemagne ou à la France ? Ne devrait-on pas au contraire concevoir une grande fête supra-nationale, qui célébrerait l’union des nations plutôt que la force d’une seule ?