Le syndrôme de l’École des fans
|Vous le savez peut-être, ayant abandonné Allociné suite à ce que j’appellerai pudiquement une divergence sur l’intégrité de mon contenu, je me suis réfugié sur Sens critique, site qui est un peu comme un Twitter dédié à la notation et à la critique culturelle, qui a plusieurs avantages : les critiques n’y sont pas arbitrairement coupées à 2000 caractères, on peut y coller des retours chariots pour les aérer, et il reconnaît la paternité d’un contenu — on peut par exemple rajouter un lien vers son site.
Sur le modèle de Twitter, il est possible de s’abonner pour être prévenu lorsqu’un autre membre publie une critique ou note une œuvre. J’ai donc trois “éclaireurs”, et trente-cinq “abonnés” qui, je suppose, ont suffisamment apprécié une mienne critique pour avoir envie de lire les suivantes.
Le point de départ de ma diatribe dominicale est le suivant : les descriptions et les notations des autres membres.
Un extrait au hasard d’une présentation :
Par principe, je ne mets jamais 1 à un film, livre ou jeu, car il faut bien récompenser les efforts des personnes qui l’ont réalisé et qui osent sortir dans la rue après ça.
Note : on trouve des phrases du genre sur les fiches de plein d’autres membres.
Ah.
Okay.
Ben je suis pas d’accord.
Les notes minimales ont un sens, sur le plan philosophique. Elles n’indiquent pas une non-récompense des efforts fournis, elles indiquent un résultat nul. Quand un prof me mettait 0, il ne disait pas “tu n’as rien branlé”, il disait “ta production ne vaut rien”, de même que lorsqu’il me mettait 20, ce n’était pas “tu as beaucoup bossé” mais “le résultat est excellent”.
Exemple emblématique : le bac, pour lequel j’ai beaucoup révisé l’histoire et la géographie parce qu’il y avait une grosse marge de progression, mais pas une seconde l’anglais où je ne pouvais gagner que des clopinettes. Résultat : 6 en hist-géo, 16 en anglais. Une note ne récompense pas un travail, mais une production.
Ne pas mettre 0 — ou 1, note minimale sur Sens critique pour une raison un peu vaseuse mais bon, à chacun ses choix —, c’est considérer que toute production quelle qu’elle soit a une valeur. Ça peut être une posture philosophique respectable, même si je resterai en désaccord.
Mais considérer qu’on note pour récompenser un travail, ça n’est pas une posture, c’est une imposture.
“Et on met une très bonne note à cet enfant qui a très bien chanté.” Voilà ce que j’entends quand je lis des trucs pareils. Faut pas mettre de note inférieure à la moyenne pour pas traumatiser les enfants, et comme les cinéastes et les auteurs sont de grands enfants, faut récompenser leur travail plutôt que leur film ou leur bouquin.
Ben non, je suis désolé. Quand je mets une bulle à Intelligence artificielle, je mets pas une bulle à Spielberg (qui, malgré ce faux-pas dramatique, prendrait facilement 7/10 pour l’ensemble de son œuvre). Intelligence artificielle, comme Eyes wide shut du reste, est une merde totale où je ne vois rien de bon : du scenario au montage en passant par la poésie de comptoir, rien de surnage de ce naufrage. Pourquoi donc devrais-je mettre une autre note que la minimale ?
Après tout, chaque note existe pour une raison. Chaque note dit quelque chose. Et la bonne vieille bulle dit : “là, y’a rien à sauver”.
Ce qui fait mal quand on mange une bulle, ce n’est pas le symbolique 0, c’est qu’on sait que c’est la moins bonne note possible : on n’aurait pas pu avoir pire. Si vous ne mettez pas de 0, tous ceux qui prennent 1 voient que c’est la plus mauvaise note possible, et ça fait exactement comme prendre un 0 chez quelqu’un qui l’utilise. Et si vous mettez toujours au moins la moyenne, c’est la moyenne qui devient la note humiliante. Je connais au moins un magazine qui note sur 100, et où l’immense majorité des notes oscille entre 75 et 85 ; figurez-vous que quand un produit y prend 72/100, soit quand même l’équivalent mathématique d’un bon 14 en classe, son constructeur prend ça pour un camouflet.
Il est donc important d’utiliser toutes les notes. Parce que le cancre a le droit de savoir qu’il fait de la merde et parce que le bon élève qui rend un devoir de merde doit savoir qu’il a foiré ce coup-là.
Ça ne remet pas en cause leur statut personnel, ni le travail accompli ; c’est juste que si on ne met pas de notes de merde à un travail de merde, on ne peut plus distinguer le bon grain de l’ivraie. Et savoir ce qui est bon ou ce qui ne l’est pas, je crois que c’est précisément le but d’une note.