Trop tard
|Aujourd’hui, un certain Jacques Chirac a été condamné dans une affaire datant des années 90.
À côté des aspects techniques sur la peine ou le délit commis, un commentaire est beaucoup revenu : “vingt ans après, c’est trop tard”. Comme s’il ne fallait plus juger un suspect (désormais reconnu coupable, d’ailleurs), parce que l’eau a passé sous les ponts.
Le pire, c’est qu’à chaque fois qu’on entend ce commentaire, on a l’impression que c’est une méchante justice qui s’acharne sur un gentil bonhomme, qui a fait quelques conneries mais bon, hein, qui n’en fait pas ?, teeeellement longtemps après, alors que si elle avait été sérieuse, hein, la justice, elle aurait fait son boulot à l’époque, quand même.
C’est juste oublier un détail : la justice a été délibérément bloquée pendant douze ans.
Pas moins.
Bloquée par un Conseil constitutionnel qui a rendu une interprétation du statut pénal du chef de l’État, estimant celui-ci intouchable non seulement pour les faits de gouvernement, mais également pour les affaires précédentes.
L’argument officiel, si ma mémoire est bonne, était d’éviter qu’on utilise une affaire en cours contre la tête du pays, ce qui est parfaitement ridicule à mon humble avis puisque la Constitution ne permet pas de vacance du pouvoir : le mandat du président peut tout à fait être suspendu le temps de régler l’affaire, le président du Sénat assurant l’intérim. Et encore, c’est en supposant qu’un président ne puisse travailler avec quelques casseroles au cul, alors qu’à ma connaissance tous ceux ayant exercé la fonction ont démontré la compatibilité d’affaires louches avec leur mandat (de mémoire, dans l’ordre : le lâchage des harkis, le massacre du 17 octobre, les avions renifleurs, les diamants de Bokassa, les privatisations de TF1 et de la régie Renault, les ventes d’armes en Angola, les emplois fictifs… Je sais rien citer concernant Poher, mais c’est sans doute parce qu’il n’a pas été en poste assez longtemps).
Mais bref.
La justice n’a pas pris son temps : elle demandait déjà Chirac en 99. Elle n’a pu s’intéresser à lui qu’en 2007 ; loin de la vingtaine d’années annoncée, on est donc à quatre ans entre la première audition de l’ex-président et le jugement rendu ce jour.
Les hasards du calendrier font que j’avais, moi aussi, un rendez-vous important aujourd’hui, concernant un tort qui m’a été fait et que j’estime grave, mais dont je ne dirai rien de plus étant donné qu’un accord a minima a été trouvé.
Or, parmi les arguments qui m’ont été opposés, se trouvait ce fameux “c’est trop tard”, comme si c’était de ma faute, alors que j’ai signalé mon problème dès début octobre et n’ait eu de réponse digne de ce nom avant… le 29 novembre !, et alors que j’avais toujours communiqué mes observations dans la demi-journée suivant une communication.
Ben non, je suis désolé : c’est pas trop tard. La prescription court entre les faits et la plainte, et sûrement pas entre les faits et le jugement. Sinon, il suffirait systématiquement de jouer la montre assez longtemps pour être blanchi de n’importe quelle crasse.