Adieu 2011, je te regretterai pas
|Vous n’êtes pas sans le savoir, le début d’année, c’est traditionnellement l’heure des bilans et des résolutions.
Alors, quoi de notable en 2011 ? Cette année fut-elle le summum de la joie et de l’allégresse, ou une suite ininterrompue de catastrophes ?
Sur le plan géopolitique, 2011 semble destinée à rester l’année d’une prise de conscience : pour la première fois, les analystes généralistes ont dit que la crise n’était pas un accident du capitalisme, mais un résultat du fonctionnement normal des marchés spéculatifs. Jusqu’ici, une telle affirmation était l’apanage d’économistes généralement classés à gauche, qui étaient accusés par les néo-libéraux de tout voir en noir et de critiquer des épiphénomènes ponctuels.
Bien entendu, il fallait tendre l’oreille, mais nous avons même entendu au vingt heures que les marchés financiers étaient déconnectés de l’économie réelle et que leurs crises cycliques, liées à la recherche d’un sujet de spéculation quelconque, pouvaient avoir un impact dramatique sur celle-ci sans avoir de fondements dans une situation palpable ; et que, en conséquence, les plans d’ajustement peuvent ne donner aucun résultat, puisque les marchés ne regardent plus la vraie vie. Là encore, ça fait quinze ans que Bernard Maris le claironne dans les colonnes de Charlie hebdo, on le trouve en filigrane dans La grande désillusion et on l’a vu dans quelques films sur les crises récentes, mais ça n’était pas du tout habituel dans les médias généralistes et chez les économistes moins keynésiens.
2011 fut aussi l’année des primaires, événement qui n’était pas traditionnel dans la vie politique française.
Une bonne idée ? Franchement, j’en doute… Les deux candidats sortis vainqueurs des primaires qui m’ont intéressé semblent, depuis, décidés à faire fuir leurs électeurs. Ça n’est pas ici de la déception du perdant : oui, le candidat qui était mon premier choix pour les Verts a été éliminé, mais j’avais une bonne opinion d’Eva Joly, et Hollande était (en l’absence de socialiste digne de ce nom) mon premier choix au PS.
Depuis, l’un comme l’autre semblent avoir adopté un principe simple : j’ai été investi, donc je dis ce que je veux et rien à foutre si ça ne colle pas à la ligne du parti. Le problème, c’est que la ligne du parti est généralement celle des militants, donc des premiers électeurs ; or, cracher à la gueule de ses électeurs, c’est suicidaire.
À la limite, c’est leur problème, on est dans un pays libre et chacun peut se suicider selon les modalités de son choix. Le problème, c’est que PS et Verts y gagnent en division, et qu’au lieu d’appeler à l’union des bonnes volontés ils creusent la rancœur au sein même de leur camp.
Je ne vois pas comment ça peut être une bonne idée dans une perspective électorale, mais heureusement la droite fait beaucoup d’efforts pour perdre et Hollande pourrait tout de même s’en tirer ; le problème, c’est que les frustrations créées aujourd’hui risquent de se ressentir à l’heure de gouverner. Une vraie politique d’union sacrée serait fort utile tout à la fois pour regagner l’adhésion du peuple et pour pouvoir opposer un État fort la prochaine fois où les marchés spéculatifs voudront “tester” la stabilité de la situation, mais je ne la vois pas se dessiner…
La fin 2011 a donc été pathétique économiquement et politiquement ; ça prépare sans doute des élections hautement ridicules, mais ne tirons pas sur 2012 par avance…
Sur le plan professionnel, il y a eu une grosse nouveauté en 2011 : le retour au papier. Vous savez, ce support bizarre, avec plein de pages qui se tournent, qui n’est mis à jour qu’après plusieurs semaines et qu’il faut acheter pour lire. Pour un journaliste, ça veut dire deux choses : d’abord, rendre ses textes beaucoup plus tôt, le temps que les gens de la maquette, de la relecture et de l’impression s’en occupent ; ensuite, respecter un calibrage.
La date de bouclage n’est réellement problématique que pour les jean-foutre incapables de rendre un article à l’heure… mais elle appuie douloureusement sur le problème de la disponibilité des produits à tester, qui peinent souvent à arriver avant mars. Concrètement, ça veut dire qu’au lieu d’étaler les tests sur six mois, on les accumule sur trois mois, avec la fatigue et l’agacement que cela suppose — surtout lorsque l’on entend trois jours avant le bouclage prévu que celui-ci est repoussé d’une semaine, ce qui pousse à incorporer les deux appareils qu’on vient de recevoir et que l’on va “passer” en urgence.
Le calibrage, pour sa part, impose un exercice de style parfois intéressant, mais souvent frustrant. Pour conserver une information essentielle, on est en effet souvent amené à supprimer une figure de style ou un adverbe qui sont là pour donner du “liant” et faire en sorte que le texte coule naturellement ; arriver à conserver une écriture vaguement lisible avec une contrainte de longueur demande donc tout un travail. J’étais heureux, après quelques mois d’écriture pour Micro actuel en 2007–2008, d’arriver à pondre des articles directement de la bonne longueur, sans avoir à couper exagérément mes jolies liaisons ; devoir s’y remettre quelques années plus tard montre à quel point on oublie vite une technique inutilisée. Mais quelque part, il est presque agréable de se plier à cette contrainte, un peu comme lorsqu’on se dit qu’il faut faire un truc avec des rimes et une métrique régulière qui veuille quand même dire quelque chose : c’est un défi, cela oblige à faire des choix¹ et à trouver un équilibre différent entre fond et forme, et je pense que l’écriture y gagne finalement — pas dans l’article publié, mais dans celui que l’on écrira après, sans cette contrainte, et pour lequel on sera libre d’user à bon escient des astuces créées pour respecter élégamment le calibrage.
Ceci, bien entendu, à condition que le journaliste ait la maîtrise de son article. Mon autre découverte de l’année est que certains ne montrent pas exactement le respect que j’attends lorsque je rends un texte, et que d’autres ne jugent pas utile de m’aider outre mesure à plaider mon point de vue. Je ne souhaite pas m’appesantir sur une affaire qui n’est hélas toujours pas close, mais cette navrure est profonde et remet en question assez fondamentalement mon approche du métier. Seul l’avenir dira ce que j’en tirerai, mais j’ai dans l’idée que ça laissera des traces assez longtemps — la première, en tout cas, c’est que j’ai cotisé pour un syndicat, chose que je n’avais jamais jugé utile de faire en huit ans d’activité professionnelle.
Ça n’a été, au fond, que la plus brutale de quelques engueulades mémorables — sans doute parce que sur ce coup-là, j’étais (et je reste) convaincu d’avoir raison —, mais mon humeur de chien à la fin du printemps m’a valu quelques brassées où je me suis aperçu que j’avais complètement négligé les conséquences de mes sautes d’humeur sur une paire de collègues (encore désolé). Un cyclothymique n’est jamais facile à vivre, je suppose, mais lorsqu’il l’oublie c’est pire.
Pour le reste, l’année professionnelle a été marquée par une évolution positive : la personne qui s’occupait de la partie technique des tests ayant demandé à s’orienter plus régulièrement vers la rédaction, j’ai été amené à faire pas mal de formation en l’aidant à fignoler ses articles. Ça change du pur journalisme, et ça me force à réfléchir sur ma propre écriture et à essayer de me débarrasser de mes tics, pour ne pas les lui transmettre. C’est aussi un exercice d’expression et de tact : on ne dit pas de réécrire tout un paragraphe de la même manière à un journaliste expérimenté qui a rendu un papier en vrac et à une débutante qui commence juste à rédiger ses propres articles. Après six mois, je constate que les explications portent leurs fruits : son écrit est à la fois mieux structuré et plus fluide, et j’ai de moins en moins de choses à lui dire lorsqu’on passe en revue un de ses articles. Toujours encourageant.
Ça augure également du bon pour 2012, puisque cette évolution devrait la rendre beaucoup plus autonome sur certains trucs et offrir plus de souplesse et moins de monotonie dans la façon de bosser.
À part ça, 2011 a été marquée par un déménagement, qui m’a éloigné des cinémas (en fait, il m’a éloigné de tout, à part du boulot) mais m’a amené à poser un canapé juste un face d’un grand mur blanc.
Canapé, mur blanc, loin des cinémas, vous auriez fait quoi à ma place ? Ben oui, y’a un gros projo sur l’étagère et c’est vrai que pour regarder des films ou des séries télé un peu chiadées graphiquement, c’est complètement autre chose que l’ordi. Au passage, comme je suis incorrigible, je confirme que le manque de profondeur des noirs est un peu sensible sur ce modèle, mais qu’en-dehors de ça le rendu est plutôt fidèle en mode cinéma — j’avais l’habitude d’un écran d’ordinateur étalonné à la sonde, et je n’ai pas noté de différence gênante de couleurs ou de gamma.
Sur le plan plus personnel, 2011 a été la suite logique de 2010, avec tout de même quelques variations. J’ai accepté de remettre en question certains principes — du genre faire aussi le deuxième pas, voire le troisième —, et à un moment j’ai vraiment eu envie d’y croire comme ça ne m’était pas arrivé depuis très longtemps. Finalement, le soufflé est retombé aussi calmement qu’il était monté, sans tapage et en douceur, et je m’attendais pas à ce que ça tourne brutalement à la bouderie plusieurs mois après ; ç’a été l’autre truc bizarre de la fin de l’année.
Au global, 2011 ne me manquera donc pas : pas forcément catastrophique au global, l’année a tout de même été marquée par une situation politique et économique déplorable, quelques conneries et surtout un gros problème d’honneur et d’éthique que j’aurais aimé arriver à oublier.
¹ Et l’on sait que faire des choix est la première obligation d’un auteur, cf. Wonder boys.