Fredo, tu devrais ouvrir un Dalloz un jour…¹

Enten­du sur Europe 1, dans la bouche de Fré­dé­ric Mitterrand :

Il faut voir les atteintes à la liber­té sur Inter­net, com­ment ça se passe aux États-Unis : on va cher­cher les types en Nou­velle-Zélande, on les met au bloc et on fait, on rafle les 80 mil­lions de dol­lars qu’ils ont volés. Et nous, on menace la per­sonne de leur prendre éven­tuel­le­ment 1500 € d’a­mende et de leur sup­pri­mer Inter­net pen­dant un mois, c’est vrai­ment des pleur­ni­che­ries à côté de ce qui se passe ailleurs, hein. Et pour­tant, l’as­pect péda­go­gique a joué : je pense que main­te­nant tout le monde a com­pris que pira­ter, c’est du vol.

Ouh putain, y’a du lourd, là.

Je me demande même si ça mérite pas un Busi­ris, tel­le­ment c’est de l’ins­tru­men­ta­li­sa­tion du droit de la plus com­plète mau­vaise foi.

Pre­mier point : par­ler des États-Unis qui vont cher­cher des types en Nou­velle-Zélande est une allu­sion on ne peut plus claire à l’ar­res­ta­tion de la bande Mega, pour­sui­vie outre-Atlan­tique pour “cri­mi­nal copy­right infrin­ge­ment”, “money laun­de­ring” et “racke­tee­ring”, le tout “on a mas­sive scale”. En France, les qua­li­fi­ca­tions cor­res­pon­dantes sont les délits de contre­fa­çon en bande orga­ni­sée (cinq ans d’emprisonnement, 500 000 € d’a­mende) et de blan­chi­ment en bande orga­ni­sée (dix ans, 750 000 €) et le crime d’extor­sion en bande orga­ni­sée (vingt ans, 150 000 €).

Là, je pose juste une ques­tion : est-il cohé­rent de com­pa­rer ces pour­suites cri­mi­nelles avec celles gérées par l’Hadœ­pi, qui inter­vient dans le cas d’un par­ti­cu­lier sus­pec­té² même pas du délit de contre­fa­çon simple (trois ans, 300 000 €), mais de man­que­ment à l’o­bli­ga­tion de sécu­ri­sa­tion de son accès à Inter­net (un mois de sus­pen­sion d’ac­cès à Inter­net, pas de pour­suites pénales) ?

Mon­sieur Schmitz ris­que­rait, en France, vingt ans de réclu­sion et 750 000 € d’a­mende (du fait du prin­cipe de confu­sion des peines, seule la plus lourde est encou­rue). Sans comp­ter les éven­tuelles condam­na­tion civiles : la mise en cause de la “bande Mega” parle d’at­teinte aux droits d’au­teur “dépas­sant lar­ge­ment les 500 mil­lions de dol­lars et entraî­nant un reve­nu de plus de 175 mil­lions de dol­lars” (page 2 de l’acte d’in­cul­pa­tion, et au pas­sage, on se demande d’où vous sor­tez votre 80 millions).

En France, mon­sieur Mit­ter­rand. Vous savez, ce pays où, selon vous, on ne fait que des pleur­ni­che­ries aux vilains pirates. Vous trou­vez cela si pro­fon­dé­ment dif­fé­rent de l’in­cul­pa­tion amé­ri­caine, où ils risquent 50 ans de réclu­sion (prin­cipe de sépa­ra­tion des peines oblige) ?

En met­tant sur le même plan la solu­tion judi­ciaire amé­ri­caine pour une bande cri­mi­nelle orga­ni­sée et la solu­tion admi­nis­tra­tive fran­çaise pour un par­ti­cu­lier, qui pis est pour des infrac­tions qui n’ont rien à voir, vous ne com­met­tez pas seule­ment une mons­truo­si­té juri­dique. Vous faites preuve de la der­nière mau­vaise foi, dans le seul et unique but de vous pla­cer du côté des gen­tils à un moment où les cri­tiques pleuvent.

Et puis bon, il y a tou­jours ce superbe “pira­ter, c’est du vol”, dont je ne me lasse déci­dé­ment pas. Tous les juristes sont d’ac­cord pour dire que contre­fa­çon et vol n’ont rien à voir — la contre­fa­çon entraîne un manque à gagner et une atteinte à un droit moral, alors que le vol sup­prime l’u­sage de l’ob­jet volé —, mais cela ne vous empêche pas de res­ser­vir cette antienne démon­tée depuis des lustres.

Et au pas­sage, Jean Dujar­din, Michel Haza­na­vi­cius, Mark Bridges, Ludo­vic Bource et Tho­mas Lang­mann appré­cie­ront l’é­lé­gance de votre sous-enten­du, selon lequel leur film n’au­rait peut-être pas eu autant d’Os­cars si vous n’a­viez pas vous-même séduit l’A­ca­dé­mie en por­tant la Hadœ­pi au som­met de la lutte pour le droit d’auteur…

¹ Ce titre est déli­bé­ré­ment fami­lier, visant à créer l’im­pres­sion d’une conni­vence paro­dique allé­geant quelque peu le pro­pos. Et après tout, si tout le monde appe­lait l’oncle “Ton­ton”, pour­quoi ne pas appe­ler le neveu “Fre­do” ?

² Notez qu’en ce qui me concerne, je consi­dère que seule l’au­to­ri­té judi­ciaire peut se pro­non­cer sur la culpa­bi­li­té. Donc, les per­sonnes punies par la Hadœ­pi sont sus­pectes, mais pré­su­mées innocentes.