Affiches
|Entre chez moi et la boulangerie, juste devant la laverie, il y a une dizaine de panneaux d’affichage pour la prochaine élection présidentielle. J’ai pas pu m’empêcher d’y jeter un œil, et je me suis fait quelques réflexions sur les affiches officielles de la campagne. Je vous les mets dans l’ordre de leur présentation, résultat d’un tirage au sort officiel.
Eva Joly a une affiche, comment dire… Le gros plan sur la tête, franchement, on s’en serait passé : c’est censé faire grand-mère bienveillante, ça fait vieille molle.
L’effet est renforcé par le vignettage (sans doute destiné à intégrer les parties écrites mais qui renvoie l’image quelques décennies en arrière) et la dominante chaude qui fait film vieilli, tandis que la main qui soutien la pommette donne l’impression qu’elle arrive pas à tenir sa tête toute seule. Quant aux lunettes, outre leur couleur ignoble censée rappeler l’écologie, leur positionnement “à la Pivot” donne tout de suite une image d’intello.
Bref, Joly, c’est pas une présidente, c’est une petite vieille qui nous lit les Les histoires du père Castor au coin du feu. Certes, ça adoucit son image, mais je suis pas convaincu que ça soit dans le bon sens.
Changement de topo avec Marine le Pen. Portrait frontal, demi-sourire aux lèvres mais absolument pas aux yeux, attitude penchée en avant : Marine vous voit, vous regarde, vous surveille. Un vrai côté Big Brother, inquisiteur et franchement inquiétant, genre “je te vois, toi”, et son rictus satisfait fait presque encore plus peur.
Les typographes noteront l’accord discutable entre un slogan à empattement, en minuscules et aéré, et un nom sans serif, gras et en capitales compactes. Le premier donne un air vieillot, un peu conservateur, le second est massif, brutal, presque poing-dans-ta-gueule. Le message est clair : toi qui aimes tendrement la vieille France, vote pour le pit-bull.
Nicolas Sarkozy ne se laisse pas impressionner par les détournements : il a gardé son affiche précédente, déjà sujette à une interminable liste de moqueries.
L’image est évidemment celle du capitaine au long cours, qui mène son navire à bon port… sur une mer d’huile et sans un nuage. Il ignore résolument la crise, en somme. D’ailleurs, il a gardé son costard avec cravate bien serrée (et un nœud symétrique, genre Windsor, symbole du conservatisme), ce qui n’est pas la tenue d’un type qui gère l’urgence en mouillant le maillot.
La colorimétrie est chaude, mais terne, ce qui peut être le symptôme d’un proche évanouissement. Et s’il est tourné vers l’avenir (espace à droite, dans la lecture européenne), celui-ci est vide et plat.
L’affiche de Jean-Luc Mélenchon est intéressante à plus d’un titre. D’abord, c’est la seule à avoir adopté un format paysage, traditionnellement considéré comme plus calme et moins percutant. Ensuite, elle reprend de manière évidente les codes des affiches de propagande communiste : il regarde en haut à droite, vers un avenir radieux, c’est la lutte finale tout ça tout ça. Staline n’aurait pas fait mieux
Le slogan met en avant la notion de “prendre”, ce qui est là aussi un thème récurrent chez les cocos, et le parti est plus visible que l’homme : jusqu’au bout, la posture communiste. Petit détail, le costume reprend l’habit bourgeois conservateur, mais le détourne avec un nœud légèrement asymétrique.
Enfin, la colorimétrie est un plus froide que chez Sarkozy (la chemise a une légère dominante bleue), sans doute pour renforcer le contraste avec le fond rouge et se démarquer de la très bleue affiche hollandaise.
On continue dans le gaucho assumé avec Philippe Poutou. Le NPA est un parti de slogans plus que d’idées : on a donc deux accroches, une en capitales grasses, l’autre en bas-de-casse maigre entre guillemets anglais, ce qui est très laid. Symboliquement, le mot “Votez” est celui écrit le plus petit de l’affiche et c’est le seul qui soit grisé, comme si l’option n’était pas vraiment disponible : même au NPA, personne n’envisage qu’on puisse sérieusement voter Poutou.
La photo, quant à elle, et bien… Mauvais montage d’un arrière-plan verdâtre rappelant la manif’ du matin et d’un portrait de carte d’identité retraité par la CCIJP¹, Poutou a peut-être l’air sympa mais il a donne surtout l’impression de sortir d’une barrique de Beaujolais. C’est de loin la photo la plus moche et la moins flatteuse de tout cet article, et pourtant y’a du niveau.
Nathalie Arthaud et Lutte ouvrière n’ont, manifestement, toujours pas compris un truc : les gens n’aiment pas lire debout sur un trottoir pendant plus d’un quart d’heure. Même moi, confortablement assis dans mon fauteuil, j’ai pas eu la patience de me taper tout leur tract.
La photo ne rime à rien, n’a pas de message, pas de qualité, elle n’est même pas ignoblement mauvaise comme celle du frère ennemi : elle est plate et banale. Arthaud ne sourit pas, ne revendique pas, n’est pas habillée mais ne ressemble pas non plus à un clodo, bref, elle est totalement transparente, effacée par son programme.
L’idée pourrait être bonne si l’élection se jouait entre électeurs cultivés, patients et appréciant les discours interminables à la Castro ; mais chez les gens normaux, une telle affiche ne devrait jamais être montrée sans réserve de paracétamol.
Jacques Cheminade a un peu le même problème : lui aussi se croit obligé de fournir sa profession de foi sur ses affiches. Remarquez, si ça peut lui faire faire des économies, c’est autant qui ne viendra pas à s’ajouter à l’ardoise qu’il nous a laissée en 95…
Par contraste, la chemise bleue donne un teint rougeaud et le fond de brique ocre rend sa tête moins visible. En prime, le portrait est centré, le regard vers la droite quasiment invisible du faire des yeux quasi-fermés, et la liste d’éléments perturbateurs est longue : menuiserie à droite, reflets à gauche… C’est exactement le genre d’image qu’on montre aux élèves en CAP de photo pour leur dire de jamais le faire.
Au passage, l’utilisation de références à la City et à Wall Street met en évidence les origines anglo-saxonnes du mouvement et l’incapacité de Cheminade à parler aux Français. Je sais, je suis méchant, mais c’est plus fort que moi : je supporte pas ce crétin et je me remets pas de sa présence aux élections.
François Bayrou joue clairement la proximité : le cadrage est serré sans être agressif, l’homme est expressif, jovial et chaleureux (ce qui d’abord nous change du Bayrou habituel, ensuite est largement mieux que les autres austères coincés), le slogan est écrit dans une fonte “manuscrite” qui personnalise l’accroche et met l’accent sur l’union, thème récurrent chez les centristes depuis des lustres.
La photo est un peu granuleuse, mais pas vieillotte pour autant, assortie à un bonhomme qui commence à avoir de la bouteille mais reste dynamique (cravate asymétrique, tenue classe et décontractée), la composition laisse de l’espace vers l’avenir et l’arrière-plan est flou naturellement, sans détourage trop brutal.
Globalement, c’est une très bonne affiche pour quelqu’un veut rassembler dans la décontraction, et c’est la première sur laquelle je n’ai pas vraiment de méchanceté à dire. Même son petit côté “homme d’affaires branché” passe encore relativement bien, et il se la joue presque à la Richard Gere ou George Clooney.
Nicolas Dupont-Aignan ne nous fait pas une affiche, mais la “une” d’un magazine à son nom. Le titre en bandeau, l’accroche sur la veste, la photo frontale, tout y est : c’est un panneau à sa gloire.
On sent aussi une volonté d’être inattaquable, sérieux jusqu’au bout et sans faiblesse — il a retiré ses lunettes, au passage. Dupont-Aignan ne sourit pas ; d’ailleurs, si l’on détaille ses rides, on comprend que ça ne fait pas partie de ses habitudes et qu’il passe plus de temps les sourcils froncés que les commissure étirées. Il n’a clairement pas l’air sympa, et sans être aussi frontal en envahissant que Le Pen, il a le regard droit et scrutateur : lui aussi, il surveille ce que vous faites.
Notons que c’est le seul candidat dont je n’ai pas trouvé de fichier de l’affiche officielle ; il s’agit donc d’une photo de l’affiche, publiée par le Nouvel observateur et prise par Daniel Fouray pour Ouest-France.
Enfin, François Hollande propose l’affiche la plus molle de la campagne. Le fond est censé être corrézien, le montage est plat, le regard est frontal mais dépourvu d’agressivité, de curiosité, de sympathie ou de toute forme d’expression.
Petite spécificité tout de même : Hollande est le seul tourné vers la gauche. Rappelons que du fait de notre écriture, nous avons tendance à lire une image de la gauche vers la droite ; ici, la posture donne l’avantage que la diagonale de la chemise attire l’œil vers le visage, mais l’inconvénient dramatique que Hollande se tourne vers le passé. Ce n’est pas une vision d’avenir qui est proposée là ; Hollande est planté dans le passé, et la platitude de l’ensemble ne donne pas l’impression que ça puisse changer — d’ailleurs, le changement tant vanté, il est finalement masqué sur l’affiche : plus maigre que le “c’est maintenant”, il est planqué au milieu des écritures.
Dans l’ensemble, c’est donc Bayrou qui a l’affiche la plus efficace : c’est une vraie photo, où il a l’air sympathique et rassembleur, et d’où ressortent tout à la fois expérience et dynamisme. On pourra dire que c’est assez précisément le contraire du Bayrou habituel, certes ; mais photographiquement, ça marche.
Hollande et Sarkozy font dans le consensuel mou, ce qui est fort dommage quand on prétend être le héros qui, contre tous, a sauvé la France de la crise ou l’homme providentiel qui viendra la sauver du petit excité. Ce sont en tout cas les deux qui manifestent l’absence d’avenir : l’un le voit plat, l’autre ne le voit pas. Dupont-Aignan a le même soucis, mais est plus envahissant, plus scrutateur et donc plus inquiétant.
Joly poursuit la campagne de “sympathisation” entamée il y a quelques mois, tentant de casser son image de psychorigide un peu chiante. Mais elle va trop loin, et ce côté grand-mère grabataire ne donne pas envie de marcher dans ses pas.
Mélenchon est soviétique et tient à le faire savoir, et quiconque a déjà appris à décoder une affiche de propagande a froid dans le dos en voyant celle-ci. Le Pen glace aussi le sang, par son côté voyeur qui nous surveille jusque dans les chiottes (non, j’ai pas cette affiche dans mes chiottes, c’est une image).
Enfin, Cheminade, Arthaud et Poutou font leurs photos officielles avec un iPhone première version au détour d’une ruelle. Ils ajoutent éventuellement un coup de détourage à la truelle et affichent le résultat tel quel, sans même une balance des blancs dans le cas de Poutou. Et ils polluent généreusement la lisibilité de leur affiche avec des gros bouts de programme et des slogans surnuméraires, comme s’il fallait absolument parler pour meubler leur propre absence.
¹ Si vous comprenez pas la vanne, cherchez un journaliste et regardez sa carte de presse, ça devrait vous éclairer…