Ce que les yeux veulent…
|— I just friended you, will you confirm or deny ?
— Of course I’ll confirm, see how pretty you are !
(No strings attached¹ d’Ivan Reitman)
C’est un truc tout con, vous savez. Même si j’utilise Facebook à des fins principalement semi-professionnelles, je fais partie des gens qui filtrent assez strictement l’accès à leurs listes d’ ”amis” (ma famille peut en témoigner). En fait, quoique approchant dangereusement de la barre des cent contacts, je suis petit joueur selon les standards de mon milieu professionnel : mes collègues en ont en moyenne 300. J’ai d’ailleurs une paire d’attachées de presse qui m’ont reproché de ne pas les avoir acceptées alors qu’elles m’avaient demandé avant qu’on se rencontre, ou immédiatement après et sans qu’on ait fait connaissance ne serait-ce que superficiellement.
Et de temps en temps, je suis affligé de voir la facilité avec laquelle certains individus acceptent n’importe qui, inconnus ou pire connards parfaitement connus. J’ai par exemple 40 liaisons communes avec un confrère dont je n’ai jamais entendu personne dire du bien, y compris certaines personnes qui m’ont confié haïr copieusement cet individu.
Pourtant, l’autre jour, je me suis surpris à accepter l’invitation d’une personne que je n’ai rencontrée qu’une fois et avec qui j’ai échangé deux mots en tout et pour tout. La seule raison qui vaille : oui, j’avais envie de faire connaissance.
Et puis tout à l’heure, j’ai entendu la réplique qui ouvre ce billet. Et j’ai repensé à cette réflexion. Et j’ai jeté un œil à la liste de mes contacts.
Et voilà l’affligeant résultat : sur 94 “amis”, il y en a huit que je ne connais que très peu et avec qui je n’ai de contact même professionnel que très épisodiquement. Comme par hasard, ce sont toutes des femmes et, même si certaines sont des collègues de relations pro, je dois reconnaître que la seule et unique raison pour laquelle j’ai accepté (et même envoyé, dans deux cas) leur demande est qu’elles ont un sourire en balançoire ou des yeux qu’on dirait bien qu’ils sont deux.
Au passage, je note qu’il n’y a qu’une blonde sur le lot : vu comme celles-ci sont sur-représentées dans mon passé personnel, c’est une surprise, et la seule explication rationnelle est que mon lobe frontal a pris l’habitude de se méfier de cette teinte de cheveux.
Pourquoi donc est-ce un problème ? Je suis un mâle comme les autres, dont le cerveau est parfois curieusement déconnecté par un sourire, et alors ?
La raison est simple : ce que je fais, c’est très exactement me laisser manipuler par mes pulsions. Je ne raisonne plus en être intelligent, ni même en journaliste consciencieux ; en fait, je ne raisonne plus.
Je fais très exactement ce qu’attendent de moi publicistes et marketeux, tous les blaireaux qui croient qu’en mettant une femme dénudée sur leurs appareils pourris, ceux-ci deviendront attirants, tous ceux qui veulent me vendre de la merde parce qu’il y a un joli sourire devant, tous ceux qui sélectionnent leurs attachées de presse ou leurs cheffes produits sur leur physique en espérant ainsi me détourner des faiblesses de leurs fiches techniques².
Bien sûr, les conséquences ne sont pas les mêmes. Mes listes d’amis Facebook ne sont pas des communiqués de presse dans lesquels trier le bon grain de l’ivraie. Si je pourris mon “mur” avec des gens que je ne connais pas, c’est mon problème, et aucune n’est dans les listes de “proches” qui voient les publications personnelles ou tendancieuses.
Mais se réveiller un soir en se rendant compte qu’on est sensible aux mêmes schémas, largement utilisés par la pub, que le reste de la population, et qu’on est donc à la merci de n’importe quelle manipulation bien fichue, c’est jamais très agréable.
¹ Le Comité contre les traductions foireuses de titres a validé la conservation du titre original de ce film, affublé par la distribution française du pseudo Sex friends.
² Ceci n’est en aucun cas une attaque contre lesdites attachées de presse et cheffes produits, qui ne font pas exprès d’être jolies, et sont parfois en plus sympathiques et compétentes. Au contraire, ça restera un des plus beaux souvenirs quand j’ai entendu de mes oreilles une jolie plante invitée pour décorer reprendre elle-même un chef produit sur un point technique, parce qu’elle avait lu (et traduit) la fiche technique qu’il n’avait que survolée.