Changer de pied
|Je reviens une seconde sur le défi une photo par jour. Je me suis en effet, tout à l’heure, fait une petite réflexion sur un duo de photos, que j’ai envie de noter dans un coin.
Je l’ai dit, il y avait des photos que j’avais en tête dès le début du défi, voire un peu avant. Ce soir, je vais parler en particulier de celle-ci :
J’avais cette idée de la tondeuse en mouvement, laissant une bande débroussaillée au milieu de cheveux plus longs en vrac. Mais la composition, malgré de nombreux essais, ne s’est pas avérée aussi dynamique que je l’espérais. Cette photo particulière correspondait à l’idée, mais manquait de quelque chose.
En finissant la coiffure, j’ai continué à faire des photos, au cas où. Et dans le tas, il y avait celle-là :
Sur le moment, j’ai eu du mal à choisir. La première était bien mais pas transcendante, la seconde aussi… Pourtant, les quelques personnes qui m’ont donné leur avis sont unanimes : la seconde est bien meilleure.
Avec un mois de recul, je le pense aussi : elle est plus dynamique, le sujet a une attitude, le bras crée la diagonale que je n’avais réussi qu’à suggérer avec la tondeuse sur la première, bref, elle fonctionne largement mieux.
Pourquoi ai-je eu du mal à choisir sur le moment ? C’est tout simplement une résistance psychologique.
Je m’explique.
Quand on anticipe quelque chose, une activité, un achat, un produit, on prévoit d’obtenir un résultat donné à un moment donné. Cette idée est en somme un fantasme, au sens psychanalytique du terme.
Pendant la réalisation de la première photo, celle-ci s’est confrontée à l’image que j’en avais. Elle n’était pas totalement satisfaisante, mais le cahier des charges était respecté et les éléments souhaités — diagonale, chemin débroussaillé derrière la tondeuse… — étaient en place.
La seconde, en revanche, était une surprise inattendue. Elle était meilleure, mais elle ne répondait pas à une attente, à un investissement, à une volonté ; elle ne résolvait pas un fantasme.
Du coup, j’ai eu la volonté instinctive de vouloir ce que j’étais venu chercher, ce que j’avais voulu, ce que j’avais anticipé, quand bien même j’avais mieux sous le nez.
Ce phénomène, je me rends compte qu’il joue doublement dans plein de domaines de la vraie vie. La difficulté à changer de pied au milieu d’un plan, même si ce changement apporte un meilleur résultat, n’est pas totalement une légende, surtout lorsqu’on a pris la peine de planifier quelque chose.
Ça peut être lors d’un voyage, la difficulté à renoncer à un déplacement particulier même si les conditions le rendent peu raisonnable ; au boulot, la volonté absolue de finir tel travail tel jour, quand bien même il peut aisément être décalé et entre en collision avec une autre tâche plus urgente ; dans les loisirs, l’obligation d’aller courir dans la boue plutôt que d’attendre une évolution climatique. Au passage, ça doit être pour ça que j’ai horreur de planifier un voyage de vacances, parce que l’expérience montre qu’on a rarement l’occasion de tout faire comme prévu en terre inconnue.
Pourtant, choisir la seconde photo n’est pas un drame. Ça ne veut pas dire que l’idée de la première était mauvaise ; juste que ce jour-là, elle n’est pas sortie comme il fallait. Peut-être pourrais-je tenter à nouveau de concrétiser cette idée une autre fois, dans d’autres circonstances, et cela se passerait-t-il mieux à cette occasion.
En revanche, en m’étant acharné à vouloir la garder, je m’aperçois d’un truc : si j’essaie de re-concrétiser cette idée, j’aurai du mal à la juger. Il faudra qu’elle soit largement supérieure pour que j’accepte de redonner une chance à une photo de tonte ; je risque de bazarder les éventuels prochains essais, non parce qu’ils seraient moins bons, mais parce qu’ils ne seraient pas suffisamment meilleurs.
Autrement dit, il existe une possibilité que j’aie gaspillé une chance de mieux réussir cette photo une autre fois en tenant à garder, ce jour-là, la plus proche de l’idée prévue, même si objectivement sa place est plutôt dans la corbeille.