Mémoire (bis)
|Il y a très longtemps, j’avais publié ici même (enfin non, c’était avant la migration ici, mais dans ces colonnes, disons) un blabla sur ma mémoire et les rapports angoissés que nous entretenons.
Je viens de faire un lien avec un truc qui me vaut régulièrement des reproches plus ou moins discrets : ma tendance à parler interminablement de trucs qui n’intéressent personne.
La découverte, c’est qu’il ne s’agit pas, du moins pas toujours, d’impressionner les gens : il s’agit surtout de me remémorer.
La clef, c’est qu’en fait, je fais ça tout le temps, même seul, même dans ma tête. Je passe ma vie à re-raconter de A à Z les mêmes éléments, à ressasser les mêmes informations. Et chaque nouvelle information qui entre est reprise, dans les minutes, les heures, les jours qui suivent, jusqu’à être mémorisée. D’ailleurs, combien connaissez-vous de blogueurs qui relisent deux fois leur article avant de le publier ?
Un exemple particulier : en regardant Titanic, j’ai noté le truc de l’ordre de démarrage des hélices, les latérales commençant à tourner avant la centrale. En sortant, parlant du réalisme du film avec ma camarade de ciné, j’ai cité cet exemple ; mais je n’ai pu m’arrêter là et ai dû expliquer pourquoi ça marchait comme ça (les arbres latéraux étaient mus directement par la machine à vapeur, l’arbre central était entraîné par une turbine alimentée par l’échappement de celle-ci). Il ne s’agissait pas d’impressionner mon auditoire, qui à vrai dire semblait plutôt effrayé d’une telle logorrhée, mais de m’assurer, moi, en mon for intérieur, que j’avais compris comment ça marchait et pouvais le transmettre.
Même chose, au passage, lorsque quelqu’un me demande pourquoi tout n’est pas net dans une photo ; il veut généralement entendre que le capteur étant plan, il ne capture qu’un plan de netteté dans le monde réel, mais je suis incapable de répondre à cette question sans parler du rapport entre position du sujet et position de son image optique, c’est-à-dire l’endroit où convergent tous les rayons partis du sujet et capturés par l’objectif. Il ne s’agit pas de faire flipper une attachée de presse, mais de me ré-expliquer le truc à moi-même pour mieux le comprendre, pour m’approprier cette portion de réalité.
C’est finalement sans doute pour ça que je suis journaliste. Ma peur d’oublier me pousse à répéter tout ce que je sais à qui voudra bien l’entendre, à transmettre l’information pour éviter qu’elle se perde, à pondre des articles pour avoir une trace de ce qui a été su ; elle me fait aussi prendre des notes et répéter à l’intérieur de ma tête les choses importantes, ce qu’on appelle couramment “ressasser”.
Au fond, si je vous saoule avec d’interminables litanies sur des trucs totalement inintéressants, prenez-le comme un hommage : c’est que vous êtes dignes de me servir de sauvegarde externe en cas de crash de mon propre disque dur.