Profession : bâcler
|Comme il y a sept semaines pour les candidats présidents, j’ai regardé les professions de foi que m’ont envoyées les personnes souhaitant devenir députées de ma circonscription — historiquement considérée comme une propriété personnelle de Daniel Vaillant.
Et dans l’ensemble, je suis absolument affligé du niveau de celles-ci. Voici mes remarques, dans l’ordre dans lequel elles sont sorties de l’enveloppe.
Au Front de gauche, on aime les montages pourris. Le fond de la photo a été pris quasiment en bas de chez moi, au croisement de Riquet, La Chapelle et Philippe de Girard, sans doute en début d’après-midi, le soleil arrivant de la droite. Les candidats ont été photographiés sous un éclairage de gauche, et les traces de détourage sont bien visibles. Leur air ahuri n’arrange rien.
Dans le texte, on retrouve en vrac tous les éléments de langage du FdG, qui continue à attaquer Sarkozy (“président des riches”). Et oh, les gars, faut vous réveiller : il est parti, c’est bon.
Au Mouvement démocrate, on n’a peur de rien. Et on va certainement pas se laisser impressionner par une photo pourrie, à laquelle il manque juste deux petits détails : une mise au point (elle est complètement floue, je soupçonne que le mur derrière doit être net) et un coup de niveaux (elle est terne, sans contraste, malgré l’œuvre cravataire du monsieur, et la balance des blancs est totalement foireuse). Au verso, la photo de la suppléante, qui semble prise au bistro avec un iPhone.
Sur le plan verbal, c’est l’absence de programme qui ressort : le seul but est d’apaiser les tensions. C’est bien gentil, mais je sais pas si ça va beaucoup faire avancer…
À gauche toute fait ses photos sur le pont Riquet, un symbole intéressant : c’est l’union de la Chapelle et de la Villette. Bien sûr, on fait ça en fin d’après-midi avec un compact, histoire d’avoir un arrière-plan envahissant et des moitiés de visages cramées.
On retrouve le même blabla qu’au FdG, qui là aussi commence par taper sur Sarkozy (c’est d’actualité, n’est-ce pas ?). Et pour le coup, on ne joue clairement pas l’apaisement : tout le monde est méchant, raciste ou corrompu, sauf nous.
Boosté par ses excellents résultats à la présidentielle (5 % de suffrages en plus qu’en 95), Solidarité et progrès utilise une photo d’identité, austère et sérieuse, et une fonte fantaisie peu lisible — mais qui ne réussit pas à masquer la confusion entre “oe” et “œ”.
La face B fait en revanche l’objet d’une certaine recherche graphique et le texte évite de trop prendre les gens pour des cons, une différence radicale avec les projets de Cheminade. En revanche, le distinguer du FdG et du NPA n’est pas simple…
Debout la République joue aussi la carte de la photo d’identité… Mais. Mais sérieusement, y’avait personne, pas même un obscur tireur chez l’imprimeur, pour leur dire que cette photo est ignoble ? Le sourire contraint, le cadrage frontal agressif, le petit espace entre haut vert et pull gris… Non, rien à sauver — et au passage : tendre un peu le cou et abaisser les épaules, ça éviterait ce double-menton et ces bajoues qui donnent une image pesante.
Côté blabla, c’est Dupont-Aignan qui cause le plus, et qui veut que les enfants apprennent le français 15 heures par semaine au lieu de 9 — il ne précise pas si c’est l’histoire-géo ou les sciences naturelles qui sautent pour compenser.
L’alliance écologiste indépendante a une particularité notable : nulle part, sur la profession de foi, les candidats ne sont ne serait-ce que cités. Au lieu d’eux, on a droit à une galerie de personnes supposées représenter la France (y’a de l’Alsacien, du Lyonnais, de la mère, du chanteur has-been, et même de l’auteur de bouquin préfacé par Jacquart, c’est dire s’il est important). Graphiquement, c’est ignoble, surtout qu’il n’y a aucun soucis de cohérence entre les photos.
Au dos, la charte graphique est à vomir, avec des décalages d’un quart de ligne entre colonne gauche et colonne droite et des E majuscules verts un peu partout. Notons que certaines majuscules sont accentuées, d’autres non.
Le manque de contraste est la principale caractéristique de la photo de la candidate du Parti radical. Et ce, alors même que sa chevelure est bouchée et son chemisier brûlé : bel exploit du tireur.
Le discours précise que la dame n’a jamais mis les pieds hors du 18è, ce qui est censé me rassurer, je suppose. Cette prof (qui met une majuscule à sa profession et la conjugue au féminin, “Professeure”, deux bonnes raisons de l’éliminer de la liste des candidats envisageables) veut renforcer les cours d’anglais et d’informatique et n’aime pas l’esclavage humain — ce qui suppose qu’en revanche, l’esclavage non-humain…
Le Parti socialiste est en famille ici : Vaillant n’a pas bougé son cul de son siège depuis 88, à part un bref accident en 93 (défaite annulée par le Conseil constitutionnel). Du coup, il fait sa photo pendant un pique-nique bucolique au jardin d’Éole. Vues les attitudes des gens, c’est le moment où la tante à moitié bourrée vient de faire une blague graveleuse, où tout le monde fait semblant de rire tout en étant gêné, sauf la nièce adolescente qui se marre franchement en son for intérieur mais évite de le montrer pour pas se faire engueuler par ses parents bien comme il faut.
Et le programme ? Oh ben là, y’a pas grand-chose à dire, c’est le même que pour la présidentielle.
Au Parti ouvrir indépendant, comme souvent chez les trotskos, on prend n’importe quelle photo shootée par surprise pendant une réunion du parti.
Et en dessous, on vous colle un tract du premier mai : long, mal écrit et historiquement discutable (la politique d’austérité menée depuis 30 ans ? Ah bon, les 35 h, la cinquième semaine de congés payés et la retraite à 60 ans, c’étaient des mesures d’austérité ?). En revanche, faut reconnaître une chose : au POI, on sait faire une mise en pages efficace, avec des lignes bien alignées et un certain équilibre visuel.
Chez Europe écologie — les verts, on fait aussi partie de la grande famille PS : on photographie exactement au même endroit que chez les Vaillant. Mais on est plus décontracté et on évite le Sacré-Cœur en arrière-plan.
Côté blabla, on écrit mal, mais on écrit en vert (et en Arial narrow), donc ça passe. Bien sûr, au verso, on passe au Times new roman et au noir, mais qui lit jusque là ? Le plus important, de toute façon, c’est la liste des soutiens, de Bové à Voynet, sans bien sûr aucune cohérence graphique entre les neuf photos.
Au premier coup d’œil, on croit à une plaisanterie : Tilloy ressemble à une caricature de BCBG coincé dans une comédie de mœurs à la française — vous savez, les La vie est un long fleuve tranquille, Neuilly sa mère et consorts.
Et puis, on voit le nom de Christine Boutin, et on comprend : c’est le Parti chrétien-démocrate, dont le discours emprunte à la fois au MoDem et au FN. Si le mélange vous paraît bizarre, c’est normal.
À l’Union pour un mouvement populaire, les photos, on connaît. Fond bleu, pose figée, clic-clac c’est emballé, et tant pis si la candidate a le sourire le plus faux de la décennie.
Pour se distinguer et faire proche des gens, elle écrit à la main. Le résultat est presque aussi lisible qu’une colonne de Siné à la grande époque de Charlie hebdo (je sais que Decorte et Siné seront tous deux honorés de la comparaison), vu qu’il a été scanné en qualité fax. L’objectif est sans doute que personne ne s’aperçoive qu’elle parle de solidarité, de garde d’enfants, d’accès à l’emploi, de commerces de proximité, bref, qu’elle a juste recopié la profession de foi de Vaillant (qu’elle fustige au passage).
Au Front national, on partage les studios photo de l’UMP, ça réduit les coûts.
Pourtant, on rappelle bien à chaque ligne à quel point on les déteste : c’est plus important que d’avoir un programme (d’ailleurs, celui-ci est résumé beaucoup plus court que les attaques contre les traîtres de l’UMP).
Chez Lutte Ouvrière, enfin, on fait une séance photo en alignant les candidats devant un mur, en t‑shirt ou en pull à col rond. L’avantage, c’est que cette profession de foi est la seule sur laquelle les illustrations sont raccord ; l’inconvénient, c’est que comme on n’a pas de metteur en pages, personne ne s’est aperçu que les deux photos étaient faites pour être côte à côte. L’une au dessus de l’autre, elles donnent donc l’impression que les deux candidats regardent n’importe quoi sauf l’électeur.
Le reste, comme d’hab, est un tract de deux feuillets, que vous pouvez aussi trouver place de la Bastille un premier mai.
Il manque ici les deux candidats qui n’ont pas envoyé de profession de foi. Le Parti pirate justifie cela par le coût d’impression et de logistique que cela suppose ; le Mouvement unitaire progressiste s’est retiré en appelant à voter PS, mais reste officiellement inscrit.
Au global, si on fait le bilan, on se rend compte que très rares sont les partis qui ont ne serait-ce que des notions élémentaires de photographie, de composition et de typographie. Dans l’ensemble, le boulot est bâclé : on ne sent aucune volonté de bien faire et on a sévèrement l’impression que ça les fait chier de se présenter aux législatives.
Pourtant, l’Assemblée et la force la plus importante dans la cinquième république : si le régime est plutôt présidentiel, en principe, il reste soumis à l’autorité législative, puisqu’il ne fait qu’appliquer les lois qu’elle vote. En outre, l’Assemblée est le lieu central de la représentation citoyenne, chacun des 577 députés étant élu au suffrage universel direct : c’est elle qui exerce la souveraineté populaire, alors que côté exécutif seul le président est élu.
Les partis eux-mêmes semblent pourtant considérer les législatives comme des élections mineures qui ne méritent pas de réfléchir à proposer des professions de foi un minimum propres. C’est extrêmement inquiétant : ça revient à dire que les gens que l’on va élire pour créer la Loi n’ont, eux-mêmes, rien à foutre du législatif. Finalement, pour eux, on dirait bien que le seul enjeu des législatives est de savoir qui sera ministre, au plus complet mépris de la séparation des pouvoirs.