2012 : la fin du monde a été reportée (ou pas)
|Comme chaque année, le mois de janvier est l’occasion de jeter un œil sur le millésime écoulé. Alors, quoi qu’est-ce qu’ai-je retenu de cette année, prophétisée par un scénariste bourré comme devant amener la fin du monde ?
Il ne m’est évidemment pas possible de ne pas parler des résultats des élections présidentielles et législatives. Si vous me lisez régulièrement, vous savez que les candidats élus étaient mes favoris personnels (à quelques détails près).
Cependant, j’ai accueilli la victoire de Hollande et celle du Parti socialiste avec une certaine réserve, l’œil aux aguets des inévitables conneries qu’ils allaient faire.
Sur le plan théorique, elles n’ont pas tardé : la première décision du président fut de nommer un premier ministre déjà condamné par le passé, erreur symbolique que je ne suis pas près de pardonner. Le côté pathétique des vœux du 31 décembre, au rythme mal géré et à l’écriture peu assurée, est également à ranger dans la liste des fautes de communication.
En revanche, sur le plan pratique, contrairement à beaucoup à gauche comme à droite, je suis plutôt satisfait de l’action de la direction de l’État. Hollande est mou, transparent, il ne donne pas de direction claire et n’a pas le comportement d’un meneur d’homme, entends-je çà et là ? Tant mieux, c’est ce que j’attendais de lui.
Je l’ai dit et répété : les autocrates me font peur, les agités tout autant. Avoir un président qui, plutôt qu’imposer ses idées brutalement dès qu’une question se pose, prend le temps d’écouter, de réfléchir et de décider à tête reposée, c’est ce que je veux.
Et puis, soyons honnêtes : il y a quelques années, à l’heure de la question cruciale de l’envoi de troupes supplémentaires ou du retrait de celles déployées en Irak, on se moquait des Américains qui reprochaient à Obama de prendre son temps et d’écouter des avis radicalement opposés avant de décider. Ils devaient pourtant bien comprendre, disions-nous alors, que leur président était face à une décision complexe aux conséquences lourdes à long terme, et qu’il était sain qu’il reste un temps dans cette “indécision” propice à la réflexion. Et aujourd’hui, parce qu’une endive molle a succédé à un caniche hyperactif, l’indécision et la réflexion seraient brutalement des défauts majeurs faisant douter de la compétence même du président ? La discrétion serait un défaut majeur, après cinq ans à critiquer l’omniprésence ? Allons donc…
La réalité, ici, c’est que quand on est à l’intérieur, on veut une figure rassurante de leader charismatique et vaguement autoritaire¹. Quand on est à l’extérieur, on souhaite plutôt voir les autres suivre des gens intelligents et réfléchis. C’est un problème presque psychanalytique : la lutte entre l’affirmation du surmoi, qui veut la meilleure solution pour l’ensemble du système, et la faiblesse du moi, qui cherche à être rassuré dans son intimité.
Et là, c’est notre responsabilité d’êtres doués de raison que de faire un pas en arrière pour regarder l’ensemble, en oubliant nos peurs et nos idées préconçues.
La gouvernance actuelle est-elle catastrophique ? Non. Les pleureurs nous expliquent qu’elle le sera à long terme, mais la réalité brute est qu’ils n’en savent rien — cela fait bien longtemps que nul n’a réellement réussi à prédire le comportement d’une économie de marché à l’échelle macroscopique, sans même parler d’une économie multiple et complexe comme celle qui régule l’ensemble de la planète ; c’était d’ailleurs la grande leçon de la “rechute” économique de 2011, qui faisait pourtant suite à des remèdes de cheval appliqués dans les pays fragiles. L’un des principaux indices, le taux d’emprunt de l’État, reste particulièrement bas, signifiant que beaucoup sont enclins à prêter à la France alors qu’on nous promettait une crise majeure de la dette en cas d’élections socialistes ; rien que ça, c’est plutôt un succès.
Concernant les choses tangibles et quotidiennes, je vois que le débat s’est déplacé d’histoires d’islam conquérant et d’invasion de hordes barbares vers la possibilité pour certains couples d’obtenir les mêmes droits que les autres, et franchement, je trouve ça moins malsain — même si là, on commence à avoir beaucoup entendu les arguments des uns et des autres, et il est largement temps de trancher et de donner enfin les mêmes droits à tous, sachant que c’est un débat qu’on aura oublié dans vingt ans de toute façon.
Bon, c’est pas encore un débat sur l’orientation budgétaire, la stabilité, le taux d’endettement national acceptable, bref tous les trucs importants pour l’avenir du pays ; c’est pas non plus un débat sur les institutions, leur articulation et leur fonctionnement. Mais c’est déjà moins nauséabond (même si les homos et les cathos en prennent plein la gueule ces temps-ci, souvent à tort).
Reste la question de la légitimité des opérations militaires extérieures, particulièrement importante aujourd’hui (commandos en Somalie, bombardements au Mali). L’État français a‑t-il le droit d’intervenir militairement dans un État étranger, fut-ce pour sauver ses ressortissants ? A‑t-il le droit de décider qui, d’un gouvernement ou d’une armée rebelle, est le plus légitime pour gouverner un pays ? Ces questions ne me paraissent pas tranchées, mais je me dis moi-même qu’il y a des cas où il est difficile de rester sans rien faire…
Je serais en fait assez pour un conseil de sécurité de l’ONU beaucoup plus interventionniste : l’assemblée des nations unies est à mon avis la seule autorité extérieure à posséder une certaine légitimité pour mettre son nez dans les affaires internes d’un pays, et son tribunal international est seul habilité à dire qui viole les lois “universelles” (Déclaration des droits de l’homme, Convention de Genève, etc.).
2012 a vu son lot d’interventions militaires, non reconnues comme guerres malgré toutes les évidences, et il s’en profile encore en 2013 — vu le rabâchage, j’ai du mal à imaginer que la Syrie passera à côté d’une invasion occidentale. Et je souhaiterais absolument que de telles actions ne puissent avoir lieu que sur ordre exprès des Nations unies, au lieu d’être des attaques d’un pays contre un autre comme celles de ces dernières années.
Sur le plan professionnel, 2012 a été la suite logique de 2011, pour laquelle je notais que “cette navrure est profonde et remet en question assez fondamentalement mon approche du métier”. C’est donc logiquement qu’elle s’est conclue par une démission. Celle-ci a pris effet hier soir, où j’ai sans grand regret rendu ma clef avant de partir. Les raisons sont multiples, mais se résument en gros à ce que Flo a dit de moi en apprenant ma démission : je suis “droit dans mes bottes” et “presque sans concession”, et mon niveau maximal de concessions avait été atteint. Le déclic s’est produit peu avant le salon de la photo, lorsqu’il nous a été signifié que les mécontents étaient libres d’aller voir ailleurs : vu le nombre de fois où j’ai manifesté un désaccord sur tel ou tel point, je n’ai pas pu éviter de me sentir concerné.
2012 a donc, dans ce domaine, bel et bien été une sorte de fin du monde ; et comme les historiens disent souvent que le vingtième siècle commence réellement en 1914, je considère que 2012 s’est terminée le 11 janvier 2013.
Au passage, j’ai pu re-trouver un travail avant même d’avoir négocié les conditions de mon départ, apprenant au hasard d’une conversation qu’un magazine/site photo s’apprêtait à embaucher. J’ai sauté sur l’occasion pour poser ma candidature, et je commencerai donc au Monde de la photo dès mardi — j’aurais bien aimé avoir quelques semaines de battement, mais le poste était en principe ouvert dès début janvier…
Reste maintenant à apprendre tout ce qu’il y a à apprendre (euh, c’est quoi déjà un Macintosh ? InDesign, vous dites ?), à me faire au rythme d’une publication mensuelle et à m’intégrer parmi mes nouveaux collègues. On verra comment ça se passera, mais je ne suis guère inquiet — je connais un peu et ai plutôt une bonne opinion, professionnellement et humainement, de mes futurs collègues, et je leur ai déjà dit que je n’avais pas la prétention de remplacer le semi-retraité dont je prends la suite (qui est à mon humble avis tout simplement le meilleur journaliste technique de notre domaine).
Ce bilan annuel se termine traditionnellement sur une note plus personnelle, et 2012 a été très inhabituelle dans ce domaine. Pas forcément envie d’entrer dans les détails, mais une que j’avais prise au départ pour une simple collègue de ciné a finalement compté bien plus que prévu, m’a soutenu (je soupçonne que c’était sans vraiment s’en rendre compte) à travers un mois de mars particulièrement insupportable, m’a poussé à faire des choses que j’aurais jamais faites naturellement (je parle pas seulement de voir Titanic ^^) et à remettre en question mes habitudes. Je n’ai finalement pas changé de vie radicalement cet automne (je l’aurais fait avec elle mais ça n’a pas tourné comme j’espérais), mais si j’étais prêt à le faire et si j’ai finalement décidé d’en profiter pour remettre un peu d’ordre, c’est aussi grâce à elle — je dis bien “grâce à”, pas “à cause de”, vu que le changement de boulot évoqué plus haut était dans l’air depuis très longtemps et que je me sens beaucoup mieux depuis que c’est fait.
Du coup, je sais pas de quoi 2013 sera fait (j’espère au moins une semaine de ski et peut-être un voyage plus long et plus lointain, on sait jamais), mais je suis plutôt optimiste, pour la planète, pour le boulot et pour moi.
Et je tire un bilan global positif de 2012, ce qui n’avait pas été le cas de l’horrible année 2009, du morne et cyclothymique millésime 2010 ou d’un an 2011 professionnellement très difficile et humainement instable.
Pis faut pas oublier que Michael Bay n’a pas fait de film cette année, ce qui suffit à la qualifier d’excellente.
¹ Le professeur Philip Cumberbatch, chargé d’un cours de civilisation britannique à l’université Stendhal, nous avait une fois sorti en classe : “in 1789, the French get rid of absolutism. Et depuis, ils le cherchent. Truly, it seems that you French love dictators: see Pétain, Napoléon, de Gaulle, Mitterrand…”