IVG et contraception
|Ces temps-ci, il y a une évolution d’un détail du droit qui touche pourtant beaucoup de gens : une femme devrait pouvoir interrompre une grossesse, même si elle ne se considère pas comme en détresse — condition posée par la loi Weil il y a plus de trente ans, la “situation de détresse” était à l’appréciation de la femme concernée.
Je lis beaucoup, chez les opposants à cette évolution, deux arguments.
En premier lieu, il s’agirait de banaliser l’avortement.
Je traiterai rapidement ce point, qui est doublement crétin. D’abord, objectivement, l’IVG (qui n’est qu’un cas particulier d’avortement, et qu’il convient de différencier de l’IMG et de l’avortement spontané), est déjà banalisée : les estimations s’accordent à dire que grosso modo, une femme sur trois y recourt au moins une fois au cours de sa vie. Il y a plus de femmes qui recourent à l’IVG que que de personnes chargées par une brebis, de cavaliers qui se ruinent une épaule en tombant de cheval ou de grimpeurs qui prennent un plomb en tête de plus de cinq mètres — et tout ça, ça m’est déjà arrivé et personne n’a trouvé ça extraordinaire.
Ensuite, paradoxalement, dans les femmes que je connais qui en ont fait l’expérience, pas une n’a considéré cela comme banal et l’IVG semble être pour chacune un souvenir précis — qu’il se soit agi d’une étape nécessaire ou d’un traumatisme, ça n’avait apparemment rien de “banal”.
En second lieu, supprimer la notion de détresse de la Loi ramènerait “l’avortement à une simple pratique contraceptive”, comme le dit Frigide Barjot aujourd’hui dans Le Monde. Ce point touche à un autre sujet qui me tient à cœur : la langue française.
L’IVG peut-elle, quels que soient les efforts du législateur, être considérée comme une contraception ?
La réponse est simple : non. Par définition, l’IVG ne peut intervenir que sur une grossesse en cours. Donc, après la conception. Donc, suite à l’absence ou l’échec de la contraception : non seulement l’IVG n’est pas une contraception, mais elle est strictement incompatible avec une contraception efficace.
Les anti-IVG actuels ne peuvent pourtant pas méconnaître la différence profonde entre contraception et avortement : ils l’utilisaient il y a quelques décennies pour refuser au stérilet le statut de contraceptif. Leur théorie était alors qu’il empêchait la nidation de l’œuf et intervenait donc après la conception¹ — en gros, le stérilet était pour eux une succession d’avortements invisibles, quand bien même on ne peut normalement parler d’avortement que pendant la gestation, donc après la nidation de l’œuf.
Personnellement, je ne vois pas ce que la notion de détresse vient faire dans l’IVG : une femme qui n’est pas en détresse peut tout de même avoir de très bonnes raisons de ne pas garder un embryon, à commencer par “je n’en ai pas envie, et un enfant qui naît sans être désiré risque d’avoir du mal à trouver sa place dans un monde déjà assez compliqué pour les autres”. Point de détresse là-dedans mais, quelque part, l’intérêt de l’enfant — non, l’intérêt de quelqu’un n’est pas toujours de naître, surtout pas s’il est destiné à une vie infernale.
Mais je constate surtout que ma maîtresse favorite, la langue française, est malmenée par ces hordes de bien-pensants, qui évaluent le sens des mots à l’aune de leur volonté du moment — appliquant strictement la définition de “contraception” il y a quarante ans, et supposant aujourd’hui qu’on pourrait l’élargir au point d’inclure ce qui est justement incompatible avec une contraception efficace.
¹ Au passage, on sait aujourd’hui que c’est faux, le stérilet ayant bien un effet contraceptif : le cuivre qui le recouvre est un spermicide redoutable, et son effet anti-nidation compterait beaucoup moins dans l’empêchement des grossesses que l’éradication des spermatozoïdes ; d’ailleurs, on constatera avec amusement que la pilule est dans le même cas, puisqu’elle offre outre sa fonction première (empêcher l’ovulation) un effet anti-nidation, en empêchant l’épaississement de l’endomètre au cours de la deuxième semaine du cycle.