Vive le roi (ou presque)
|Je sais pas vous, mais moi, j’aime bien les débats interminables sur des trucs qui n’existent pas. Vous savez, genre “si Superman et Batman se battaient, qui gagnerait ?” Ça peut dégénérer en très longs délires avec une accumulation des arguments les plus spécieux imaginables.
Et ben, y’a un truc exactement pareil pour lequel il y a des gens qui discutent le bout de gras en vrai : la succession du trône de France. Autrement dit, qui serait le roi de France dans l’hypothèse délirante où 1) on jugerait utile d’avoir un roi ; 2) on reprendrait les règles des transmission du trône qui existaient à l’époque où on en avait un ; 3) on donnerait pas le trône directement à celui qui aurait restauré la monarchie.
En gros, y’a trois factions, les légitimistes pour qui la couronne est à l’héritier de Hugues Capet par primogéniture masculine, les orléanistes pour qui les Bourbon d’Espagne (branche aînée des héritiers de Capet) ne peuvent pas régner en France depuis les traités d’Utrecht, et les bonapartistes qui restent convaincus que le coup d’État de Napoléon 1er a tout remis à plat et que c’est sa famille à lui qui règne. Et oui, y’a vraiment des gens qui débattent de ça.
Du coup, ce matin, je me suis dit “ah ben tiens, les légitimistes vont la ramener, ils ont un nouveau roi”.
Et là, hop, je m’aperçois d’un truc dans ce gigantesque bordel virtuel : l’aîné des Bourbon d’Espagne et donc héritier logique des titres de Capet, le père Juan Carlos qui vient de filer la couronne à son fiston, n’est pas roi de France, exactement pour la raison pour laquelle les légitimistes font de sa famille la famille régnante en France.
Bon, déjà, la couronne de France et celle d’Espagne ont été séparées après Ferdinand VII : celui-ci n’ayant pas eu d’héritier mâle, il a aboli la loi salique et sa fille Isabelle II est devenue reine d’Espagne. Mais cette abolition ne comptait pas pour le trône français, qui est donc repassé à son frère, Carlos. Et après, on nous dira que les Espagnols sont misogynes.
Heureusement, la consanguinité étant une tradition bien ancrée dans les familles royales, les deux couronnes ont été réunies : Alphonse XII, par sa mère petit-fils de Ferdinand VII et donc roi d’Espagne, était aussi par son père petit-neveu de Ferdinand VII et donc roi de France.
Depuis, il n’y a plus eu de reine d’Espagne. Donc, pas de raison que les couronnes soient de nouveau séparées, si ?
Ben si.
En fait, il y a un bordel supplémentaire en cours de route : la succession d’Alphonse XIII.
Ce brave Alphonse, roi d’Espagne avant même sa naissance (Alphonse XII, celui qui avait réuni les couronnes, avait eu l’idée originale de mourir en laissant sa femme enceinte), a eu quatre fils. Jusque là, tout va bien, l’aîné, un certain Alphonse, devait logiquement tout récupérer.
Sauf que son fils aîné, Alphonse pas-XIV, avait un coup de cœur pour une roturière (il a dû inspirer Edward VIII, qui a fait pareil trois ans plus tard). Alphonse XIII, qui n’était même plus roi mais tenait toujours à maintenir un niveau correct de consanguinité dans la famille, lui a donc demandé de renoncer à l’héritage. Il n’avait pas forcément tort : Alphonse pas-XIV est mort jeune, des suites d’un accident de voiture sans gravité pour quiconque aurait eu du sang qui coagule correctement — mais il était hémophile, comme quelques autres personnes dont les parents étaient cousins.
Vous me dites : “ben pas de soucis, le deuxième fils d’Alphonse XIII doit faire l’affaire”. Sauf que. Sauf que ledit deuxième fils, Jaime (en français, on l’appelle Jacques-Henri, mais je peux pas décemment affubler quelqu’un d’un prénom pareil), était sourd, ce qui sied mal à un souverain. Sur sa lancée, Alphonse XIII lui demanda donc de faire comme Alphonse pas-XIV : renoncer à ses droits sur les trônes.
C’est donc le troisième fils d’Alphonse XIII, Juan, qui a récupéré le titre honorifique de prétendant au trône d’Espagne. Et à la restauration de 1975, c’est donc son fils, Juan Carlos, qui devint roi.
Et… Problème : la renonciation, c’est pas reconnu par les légitimistes (rappelez-vous, ils n’acceptent pas le traité d’Utrecht). Pour eux, c’est donc bien Alphonse pas-XIV qui était prétendant ; en l’absence d’héritier, c’est ensuite passé à Jaime, qui lui a bien eu des gosses. Le roi de France des légitimistes est donc son petit-fils, Louis.
Au passage, Louis de Bourbon a des héritiers mâles (des jumeaux, d’ailleurs) et Felipe a des héritières (et on se rappelle que la couronne d’Espagne n’applique plus la loi salique) ; sauf mariage de Louis de Bourbon (né en 2010) avec Leonor de Borbón (née en 2005), c’est donc pas encore cette fois que les couronnes seront à nouveau réunies.
Et les orléanistes, direz-vous ? Oh, ben eux, ils ont beaucoup moins d’histoires marrantes. Enfin, je crois, mais j’avoue jamais avoir cherché.