Esprit critique

Le BEA a publié quelques pre­mières infor­ma­tions sur le crash du MD-83 imma­tri­cu­lé EC-LTV, appar­te­nant à Swif­tair et affré­té par Air Algé­rie, tom­bé au Mali, à proxi­mi­té des fron­tières bur­ki­na­bé et nigé­riane, le 24 juillet dernier.

On y apprend peu de choses : une dif­fi­cul­té majeure de l’en­quête (l’en­re­gis­treur vocal à peu près illi­sible), et la tra­jec­toire de l’a­vion, qui res­semble à une spi­rale large sur un tour et demi.

C’est sur ce point que je vou­drais poin­ter un pro­blème majeur de la presse d’aujourd’hui.

Libé­ra­tion en est un bel exemple, mais j’ai enten­du France 3 nous faire la même tout à l’heure. Voyez plu­tôt :

Une seconde avant l’impact, il se trouve à 500 mètres du sol et sa vitesse est de 740 km/h.

Tout est là.

Je vous pro­pose de faire un petit cal­cul rapide.

Nous sommes d’ac­cord : s’il est à 500 m du sol, l’a­vion doit encore par­cou­rir au moins 500 m avant l’im­pact. Et encore faut-il sup­po­ser que sa tra­jec­toire est ortho­go­nale au sol au point d’im­pact, ce qui est rare­ment le cas sur un avion qui spirale…

Donc, cet avion aurait par­cou­ru au moins 500 m dans sa der­nière seconde d’existence.

Soit une vitesse mini­male de 1 800 km/h.

Or, on nous dit que sa vitesse est de 740 km/h.

Com­pre­nons-nous bien : on ne parle pas, là, d’a­via­tion. Ce sont des maths bêtes et méchantes, et même pas niveau sixième : com­ment un objet quel­conque en dépla­ce­ment à 740 km/h pour­rait-il avoir une vitesse de 1 800 km/h ?

Si vous avez fini l’é­cole pri­maire (et je rap­pelle que l’é­cole est obli­ga­toire jus­qu’à 16 ans dans notre pays), vous savez qu’il y a là un pro­blème. Le genre de pro­blème qui, pour tout indi­vi­du, doit faire dire : “ouh là, j’ai dû mal com­prendre quelque chose”.

Dans ces cas-là, le jour­na­liste vague­ment digne de ce nom, il remonte à la source. Dans le cas qui nous occupe, c’est la pré­sen­ta­tion du BEA, qui tient en six pages Power­point, tel­le­ment légère que Libé l’a inté­grée à son article. Vous voyez, en page 5 ?

Trajectoire_EC-LTV
Page 5 de la pré­sen­ta­tion, source BEA.

“1h47min15 : Fin de l’en­re­gis­tre­ment, alti­tude : 1600 ft (490 m), vitesse : 380 kt (740 km/h)”

Alti­tude.

Alti­tude, pas hauteur.

Google Earth nous dit qu’à cet endroit, l’al­ti­tude du sol est de l’ordre de 260 m. La hau­teur est donc de l’ordre de 230 m — pour autant que l’al­ti­tude indi­quée soit juste : je sup­pose qu’il s’a­git d’une mesure baro­mé­trique, sujette à approxi­ma­tion dans un envi­ron­ne­ment tur­bu­lent et ora­geux comme celui-ci.

230 m en une seconde, ça fait 828 km/h, on est déjà beau­coup plus proche de quelque chose de pos­sible pour ce type d’a­vion. Ajou­tons que la seconde esti­mée n’est pas une mesure exacte et que c’est peut-être une seconde et demie, et on tombe tout à fait dans ce que le direc­teur du BEA qua­li­fie de “vitesse ver­ti­cale des­cen­dante extrê­me­ment importante”.

De manière géné­rale, je trouve assez dra­ma­tique de pas avoir assez d’es­prit cri­tique pour se dire que 500 m en une seconde et 740 km/h, ça va pas ensemble. Mais c’est encore pire quand on bosse dans l’in­for­ma­tion : l’es­prit cri­tique, c’est tout de même la deuxième qua­li­té d’un jour­na­liste (la pre­mière étant la curiosité).