Petite phrase
C’est une petite phrase, mais du genre qui me fout la gerbe.
Alors, je le la signale.
Ça se trouve dans SNJ Info, lettre d’informations trimestrielle que je reçois comme tous les membres du Syndicat national des journalistes d’Île-de-France, et que je lis souvent avec plus ou moins de retard — en l’occurrence, ça fait une bonne semaine que le dernier numéro traîne sur mon bureau. Dans son édito, Éric Marquis, secrétaire général du syndicat, écrit entre autres :
Le CSA, instance dite “de régulation”, adresse mises en garde et mises en demeure aux télévisions pour la couverture des attentats de janvier : seule l’information de source officielle aurait dû être diffusée !
Il m’a fallu beaucoup d’efforts pour arriver à lire jusqu’au bout, ainsi que pour aller voir l’article publié sur le site du SNJ intitulé “Le CSA veut mettre un bâillon aux rédactions !”, auquel renvoie l’édito et dans lequel on trouve cette même thèse un peu plus détaillée :
Le discours du CSA au nom de la dignité de la personne, de la notion de trouble à l’ordre public et de la menace sur les otages, ouvre la porte à l’autocensure des confrères et à la censure par les hiérarchies. Pour lui donc, seule l’information de source officielle devrait être répercutée.
Je vous laisse relire la missive du Conseil supérieur de l’audiovisuel baptisée “Traitement des attentats par les télévisions et les radios : le Conseil rend ses décisions”. Si vous êtes joueur, vous pouvez aussi jeter un œil à mon billet du 13 février sur ce pétard mouillé, pardon, je voulais dire ce gros doigt grondeur.
Là, je me rends compte que le SNJ est un syndicat comme un autre. Qui, comme les autres, est partisan, orienté dans son interprétation des choses, et corporatiste. J’osais espérer que, d’un syndicat de journalistes (métier dont la recherche de vérité est le cœur), il ressorte une volonté de mesure et de vérité, puisque c’est le fond qui différencie le journaliste du communicant ; j’étais bien naïf.
Je vais la faire simple : le CSA reproche aux entreprises citées d’avoir balancé le nom d’un supposé terroriste (qui a été blanchi ensuite), diffusé en direct des images susceptibles d’informer les preneurs d’otages sur le dispositif policier qui s’installait, et signalé des personnes cachées dans les locaux qui avaient échappé à la vigilance des hommes armés.
À aucun moment n’est dit, ou même laissé entendre, que ces médias auraient dû se contenter de l’information officielle. En fait, il ne leur est même pas reproché d’avoir diffusé leurs propres informations (sauf pour l’allégation sur l’identité d’une tierce personne) ; il leur est reproché d’avoir manqué de mesure dans cette diffusion en ne prenant pas en compte la dignité des personnes et, surtout, en transmettant sans délai des informations susceptibles de mettre la vie de civils en danger. Rien, dans les avertissements du CSA, ne laisse présager que les informations sur le dispositif policier ou les personnes planquées dans les bâtiments auraient posé le moindre problème si elles avaient été diffusées, disons, à 19 h au lieu d’être transmises en quasi-direct.
Crier à la censure, accuser le CSA de vouloir restreindre l’information aux seules sources officielles, c’est ici purement et simplement malhonnête.
Que l’on estime qu’une instance administrative comme le CSA ne devrait pas être habilitée à se prononcer sur des questions éthiques, c’est une position tout à fait respectable — en fait, je la partage. Lorsque le SNJ demande la création d’une Instance nationale de déontologie tripartite (journalistes, éditeurs et public) permettant à la profession de se réguler indépendamment de l’administration, c’est une demande tout à fait légitime, encore qu’à titre personnel je sois favorable à aller plus loin en éliminant les éditeurs de la discussion (fondamentalement, leur objectif est de faire de l’argent, pas d’informer ; l’information concerne ceux qui la fournissent et ceux qui la reçoivent, pas les intermédiaires qui font leur beurre dessus et parfois tentent de l’orienter au passage).
Mais là, le SNJ fait un procès malhonnête au CSA, en l’accusant d’intentions que rien ne permet d’affirmer. Cette réaction ressemble bien plus à un réflexe corporatiste (“on critique des médias, je suis le SNJ, je contre-attaque becs et ongles”) qu’à une réflexion sensée ou à une recherche de vérité (“que dit le CSA, qu’ont fait les diffuseurs ciblés et est-ce que ça pose un problème ?”).
Je suis d’accord : ce ne devrait pas être le boulot du CSA de dire ce qui est éthique et ce qui ne l’est point. Mais ce n’est pas non plus le boulot du SNJ de faire dire à une missive ce qu’elle ne dit pas.