550
|D’après i>Télé, les anglo-saxons qui sont intervenus dans un Thalys hier ont “sauvé plus de 550 passagers”.
Bon, d’abord, plus loin, ils disent qu’il y avait 550 personnes à bord du train, ce qui à vue de nez fait maximum 546 passagers une fois décomptés un conducteur, un barman, un chef de train et son acolyte. Mais on va pas pinailler : le nombre est sans doute une approximation, donc pourquoi pas.
En revanche, il y a une chose dont je suis bien certain : ils n’ont pas sauvé tous les occupants du train.
Reprenons : l’individu avait un fusil mitrailleur Kalachnikov (le type n’a pas été précisé) et un “pistolet automatique” — en fait plus probablement un pistolet semi-automatique, mais c’était peut-être un rafaleur, la précision manque. Et, en tout, neuf chargeurs.
Apparemment, il aurait été neutralisé après s’être enfermé pour recharger son arme. On peut donc supposer qu’il avait vidé un magasin et, avec cela, il avait fait quatre blessés. Autant dire que de là à toucher 550 personnes, il était mal barré : presque aussi doué que celui d’il y a deux mois, en fait.
En fait, mathématiquement, ça ne colle pas. Imaginons que les neufs magasins soient tous destinés au Kalachnikov (hypothèse débile, mais soyons généreux) : au maximum, ils ont chacun 75 projectiles. Total : 675 ogives. Pour toucher tout le monde, il aurait fallu atteindre le score de 1,2 balles par cible, soit une précision à faire pâlir d’envie n’importe quel tireur d’élite (malgré le fameux “un tir, un mort, pas d’exception” popularisé par Tom Berenger, dans la vraie vie, on en est loin). Et ça, c’est en partant du principe qu’il n’avait que des chargeurs haute capacité, qui sont très loin d’être l’équipement standard des Kalachnikov : les magasins de 30 coups sont beaucoup plus courants. 270 cartouches, c’est encore beaucoup, mais déjà beaucoup moins.
Vous me direz qu’il avait aussi un cutter. C’est donc ça, l’arme ultime : après avoir tué 200 personnes à l’aide de ses armes à feu, il devait encore égorger les 350 autres. Qui se seraient toutes laissées faire en attendant gentiment leur tour, bien entendu.
Ou alors, vous me direz que c’est comme le sept-coups de Lucky Luke, qui tire plusieurs dizaines de cartouches sans être rechargé. Mais si vous commencez à comparer ce pauvre type à un héros de BD, ça va beaucoup dédramatiser la situation — et un journaliste, aujourd’hui, son boulot, c’est précisément de dramatiser au maximum pour drainer l’audience. Quitte à parler de 550 personnes quand, au pire, une poignée auraient réellement été prises pour cibles.
(Au passage, un “forcené”, c’est une personne qui pète un plomb, pas un type qui se pointe dans un train après avoir pris le temps de préparer soigneusement deux armes et neuf chargeurs. Mais si les journalistes devaient ouvrir un dico avant de parler, les ventes de Larousse et de Robert seraient bien meilleures.)
PS : bien entendu, mon propos n’est pas de réduire le mérite des bonshommes qui ont désarmé le crétin. Ils sont intervenus dans une situation dangereuse, à laquelle certes ils avaient été préparés (le premier intervenant était un soldat, c’est sans doute pas un hasard) mais qui n’était absolument pas prévue, et ils auraient tout à fait pu se terrer comme tout le monde.
Comme d’habitude, mon problème est avec les cons frères qui amplifient et déforment les faits alors que leur boulot est de les relater, sans prendre garde au fait qu’au bout du compte, c’est eux qui répandent la terreur, bien plus que les givrés armés.