Si une bombe tombait sur L’Obs…
L’Obs, magazine anciennement connu sous le nom Le nouvel observateur et renommé pour faire “in”, trouve qu’à Paris, les gens sont un peu trop détendus et pas assez angoissés. Histoire de les remettre un peu sur le droit chemin du sérieux et des anxiolytiques matinaux, il a donc publié un article au titre délicat : “Que se passerait-il si la bombe nord-coréenne tombait sur Paris ?”
Cet article subtil emploie Nukemap, un site conçu pour donner une idée des effets d’une bombe atomique à une échelle que le public puisse comprendre — parce que “la plupart des gens se font une très mauvaise idée de ce que l’explosion d’une arme nucléaire peut réellement provoquer”.
Le premier point, c’est que l’anonyme (il ou elle signe par des initiales, B.M.) confrère qui a rédigé cet article n’a pas compris les réglages de Nukemap et les indications qu’il donne. Il affirme ainsi qu’en cas d’explosion d’une bombe de dix kilotonnes au niveau de la tour Eiffel, il y aurait un cratère de 200 m de large : c’est faux. D’abord, les 200 m affichés sont un rayon (la largeur d’un cratère, c’est le diamètre) ; ensuite, il ne s’agit pas du cratère mais de la boule de feu.
C’est d’autant plus dommage que dans les options avancées, Nukemap dispose bien d’un système modélisant le cratère typique d’une explosion : pour dix kilotonnes, le diamètre total du cratère serait de l’ordre de 160 m. Mais là, j’ai conscience d’en demander beaucoup à notre héros du clavier, qui n’a manifestement pas la moindre idée de ce que veut dire le mot “rayon” — puisqu’il parle de “rayon de 2,5 km²”, alors que les instituteurs de cours élémentaire s’embêtent à expliquer qu’il existe une différence entre une longueur et une surface.
Autre problème : alors que Nukemap propose de visualiser les effets d’une explosion en hauteur ou en surface, mon confrère ignore la distinction (pourtant essentielle). Il se demande ce qui se passerait “si une bombe de dix kilotonnes tombait sur la basilique Notre-Dame de la Garde à Marseille”, alors que la carte montre les effets d’une explosion aérienne. La différence est extrêmement importante : lors d’une explosion proche du sol, le souffle de la détonation (en bleu) se propage beaucoup moins que lors d’une explosion en hauteur.
Dernier point, fondamental, qui ruine totalement le propos : Nukemap ne tient pas compte du relief. Ce n’est pas gênant pour ceux qui respectent son but (“aider [les gens] à se faire une idée de l’échelle des bombes”) ; c’est absolument catastrophique pour un article “informatif” qui prétend montrer concrètement ce qui se passerait en cas d’explosion nucléaire.
Je pense que le cas le plus spectaculaire est celui de Lyon, où la carte d’une explosion aérienne de dix kilotonnes est centrée sur la basilique de Fourvière, c’est-à-dire au sommet d’une colline entourée sur deux flancs d’une pente extrêmement abrupte. Dans ce cas de figure, le souffle est très atténué sur la partie de la pente qui n’est pas directement exposée, mais peut selon l’aérologie du coin être plus puissant plus loin, la modélisation étant extrêmement complexe. En outre, la dénivellation augmente la hauteur d’explosion de la bombe par rapport au fond de la vallée, ce qui modifie non seulement la puissance du souffle, mais aussi l’exposition radiologique (le disque vert indique la limite théorique des 500 rem en terrain plat) de manière variable selon l’altitude à laquelle la bombe était réglée.
Les effets du relief sont très, très loin d’être négligeables : ce sont ses vallées qui ont protégé une bonne part de Nagasaki et expliquent que Fat Man ait fait moins de victimes que Little Boy, malgré sa puissance nettement supérieure (20 kt contre 13). Encore une fois, ce n’est pas grave pour Nukemap, qui veut juste donner une idée ; mais c’est une faute impardonnable pour L’Obs, qui prétend apporter une information chiffrée.