La préférence nationale de Manuel Valls
|Dis, Manu, tu te souviens de ce billet que j’avais écrit, délicatement intitulé “une blanche vaut six noirs” ?
Non, tu t’en souviens pas. Faut dire que tu ne me suis pas sur Twitter. C’est ballot, c’est pratique, Twitter, quand on veut partager un billet ou publier un truc vite fait.
C’est d’autant plus ballot que si tu avais lu ce billet, tu aurais su qu’il y a des gens, dans ceux qui t’ont porté au pouvoir, qui n’aiment pas qu’on détermine la valeur des morts par leur origine. Je soupçonne même qu’ils sont nombreux, au Parti socialiste, ceux qui pensent qu’une vie africaine a à peu près la même valeur qu’une vie européenne.
Si tu avais lu ce billet, au moment de publier un truc vite fait sur Twitter hier soir, tu aurais peut-être regardé ton clavier une seconde. Tu te serais dit “hey, est-ce que c’est vraiment ce que je veux dire ?” Et puis tu aurais supprimé un mot.
Tu ne vois pas de quoi je parle ? Allons, Manu, te fais pas plus bête que tu n’es.
Sur Twitter, on peut pas trop s’étaler, tu sais, Manu. Alors, quand on y écrit, la première chose qu’on apprend, c’est à pas mettre de mot qui ne soit pas essentiel : il risque de prendre de la place, laquelle manquerait pour d’autres mots, importants, eux.
Alors, quand tu rajoutes “françaises” après “victimes”, on le remarque. On le remarque forcément. C’est dix caractères (onze en comptant l’espace), un quatorzième du total permis pour un tweet.
Je pense qu’ils sont nombreux, au Parti socialiste, qui sont tristes pour toutes les victimes, et qui pensent à toutes les familles de toutes les victimes. Je pense qu’ils sont nombreux à ne pas vouloir faire de hiérarchie, à ne pas vouloir se demander si elles sont françaises, burkinabées, ou autres. Je pense qu’ils sont nombreux à penser que ce sont des êtres humains, pas juste des ressortissants de telle ou telle nation.
En tout cas, c’est mon cas.
On s’est jamais très bien entendus, toi et moi, mais jusqu’ici, j’acceptais ta présence dans ce parti, dont je suis proche au moins par les idées.
Mais là, tu dépasses les bornes. Ça te coûterait quoi, d’étendre ta compassion à toutes les victimes ? Ça te coûterait tellement cher que tu prennes la peine de taper onze touches de plus pour préciser la nationalité des victimes qui comptent ?
Tu me diras peut-être que ce n’est pas toi qui l’as écrit, que tu as un “community manager” ou un sous-fifre quelconque qui est là pour ça, tu essaieras peut-être de te dédouaner et de rejeter la responsabilité sur un fusible. Je m’en fous. C’est écrit sous ton nom, sur ton compte officiel. À supposer même que tu ne l’aies pas écrit toi-même, c’est quelqu’un à qui tu as donné les clefs, à qui tu as donné le pouvoir de parler pour toi. Tu es responsable de ce qu’il fait en ton nom.
Et là, ta parole, c’est une bouillasse immonde. La préférence nationale en politique, ça n’a jamais été mon truc ; dans la presse, elle m’énerve régulièrement, à chaque fois qu’un confrère fait un décompte en séparant les Français des autres victimes.
Mais toi, tu vas plus loin : les autres victimes, tu les ignores délibérément. En précisant la nationalité, tu exclus explicitement les autres. Ce n’est même plus le “deux Français valent plus que vingt-sept étrangers” qui m’agace dans la presse, non : ici, seules les victimes françaises comptent, seules leurs familles méritent ton soutien.
Eh, Manu, rentre chez toi, t’as d’la merde plein Twitter.