RTL et le droit d’auteur

Alors voi­là, il paraît qu’on a décou­vert une véri­table licorne. C’est du moins ce qu’on lit sur Sciences et ave­nir, sur RTL et ailleurs. Bon, en vrai, on a pas décou­vert une espèce de licorne : les rhi­no­cé­ros géants du genre Elas­mo­the­rium sont connus depuis long­temps et on a juste décou­vert qu’une espèce pou­vait avoir sur­vé­cu suf­fi­sam­ment long­temps pour avoir coha­bi­té avec l’homme moderne en Sibé­rie, mais ça attire plus le lec­teur de titrer “décou­verte” et “licorne” que de titrer “rhi­no­cé­ros” et “coha­bi­ta­tion”.

Ceci dit, je suis pas là pour par­ler titraille agui­cheuse dans la presse. Je suis là pour par­ler droit d’au­teur dans la presse.

Si j’ai rete­nu les articles de S&A et de RTL, c’est parce qu’ils par­tagent quelque chose : leur image d’illus­tra­tion est la même.

Elasmotherium - peinture de Heinrich Harder, vers 1920
Elas­mo­the­rium — illus­tra­tion de Hein­rich Har­der, vers 1920

Mais les cré­dits ne sont pas les mêmes. Chez Science et ave­nir, on trouve la men­tion “© Hein­rich Har­der / Public Domain” ; chez RTL, c’est “Cré­dit : Wikipedia”.

Alors, qui a réa­li­sé cette pein­ture : Har­der ou Wikipedia ?

Je sais, vous vous dou­tez vague­ment de la réponse, d’une part parce que Wiki­pe­dia n’a créé qu’une base de don­nées, son inter­face et son mode de ges­tion — son conte­nu est l’œuvre d’une mul­ti­tude d’au­teurs, qu’il est pos­sible d’i­den­ti­fier, d’ailleurs — et d’autre part parce que la signa­ture de l’au­teur est par­fai­te­ment lisible en bas à droite.

Donc, c’est bien Hein­rich Har­der qui est à l’o­ri­gine de cette illus­tra­tion. Celui-ci étant mort en 1935, son œuvre est dans le domaine public depuis 2005 (en France et aux États-Unis tout au moins), ce qui per­met à Wiki­pe­dia de l’u­ti­li­ser librement.

Mais.

Mais que Wiki­pe­dia puisse l’u­ti­li­ser (comme moi, du reste) ne veut pas dire que l’on doive cré­di­ter Wiki­pe­dia (pas plus que moi, d’ailleurs). Wiki­pe­dia a, à son habi­tude, par­fai­te­ment cré­di­té l’i­mage : sur la page anglaise dédiée aux elas­mo­the­riums, elle est légen­dée “recons­ti­tu­tion par Hein­rich Har­der, vers 1920” et un clic des­sus amène à une page indi­quant la source (un site inti­tu­lé The won­der­ful paleo art of Hein­rich Har­der) et la licence (domaine public).

(Au pas­sage, il y a en fait plein de sites qui l’ont uti­li­sée, géné­ra­le­ment cré­di­tée Hein­rich Har­der ou Hein­rich Har­der / Wiki­me­dia, selon la nota­tion habi­tuelle pour “l’au­teur, c’est lui / je l’ai trou­vé là”.)

Petit rap­pel :

Toute édi­tion d’é­crits, de com­po­si­tion musi­cale, de des­sin, de pein­ture ou de toute autre pro­duc­tion, impri­mée ou gra­vée en entier ou en par­tie, au mépris des lois et règle­ments rela­tifs à la pro­prié­té des auteurs, est une contre­fa­çon et toute contre­fa­çon est un délit. (article L335‑2 §1 du CPI)

Le droit à la pater­ni­té fait par­tie des droits inalié­nables de l’au­teur. Contrai­re­ment aux droits de repro­duc­tion, d’a­dap­ta­tion, etc., il ne peut être confié à un tiers et il est valable pour l’é­ter­ni­té. Lorsque RTL sub­sti­tue Wiki­pe­dia à Hein­rich Har­der, elle ne com­met pas juste un acte de mépris ; c’est une atteinte aux lois et règle­ments rela­tifs au droit d’au­teur, c’est qua­li­fié de contre­fa­çon, et c’est pas­sible de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 € d’a­mende (article L335‑2 du Code de la pro­prié­té intel­lec­tuelle).

On me dira peut-être que c’est cher payé pour avoir oublié de copier le nom d’un type qui est déjà écrit sur l’illus­tra­tion elle-même ; certes, mais c’est ce à quoi on s’ex­pose quand on méprise les auteurs — et si ça tenait qu’à moi, le fait pour une entre­prise de presse de mépri­ser les auteurs serait même une cir­cons­tance aggravante.