FL060 ≠ 1800 m

Depuis hier, on nous dit plein de choses sur le déles­tage d’un Boeing, qui a pro­ba­ble­ment dis­per­sé une bonne ving­taine de tonnes de kéro­sène au des­sus de la forêt de Fontainebleau.

L’ar­ticle le plus com­plet que j’ai vue est celui du Centre de trai­te­ment de la peur en avion, mais le der­nier du Monde est pas mal non plus. Beau­coup de papiers, y com­pris ceux-ci, sont tou­te­fois impré­cis sur les notions de hau­teur, alti­tude et niveau de vol. Il faut dire qu’ils ne sont pas aidés, la pla­quette de la DGAC sur le sujet fai­sant la même erreur !

Capture de la plaquette de la DGAC sur le délestage de carburant
Cap­ture de la pla­quette de la DGAC sur le déles­tage de carburant

Première erreur : altitude vs hauteur

D’a­bord, un truc : une alti­tude, c’est par rap­port au niveau de la mer, une hau­teur, c’est par rap­port au sol. En région pari­sienne, on s’en fout un peu (y’a moins de cent mètres d’é­cart), mais si un jour vous vous posez à Cuz­co la dif­fé­rence vous sau­te­ra à la gueule.

L’OACI dit que l’é­qui­page et le contrôle aérien se coor­donnent pour déci­der tra­jec­toire, niveau de vol et durée du déles­tage. Elle pré­cise que le niveau ne devrait pas être infé­rieur à 1800 m (6000 ft). Curieu­se­ment, il n’y a donc pas de hau­teur indi­quée : logi­que­ment, si vous déles­tez du côté de Cha­mo­nix, vous pou­vez le faire au ras du sol — j’ose espé­rer qu’en vrai, les contrô­leurs et les pilotes déci­de­ront quand même de prendre un peu de hauteur.

La bonne infor­ma­tion sur la pla­quette de la DGAC est donc : “niveau de vol : 60”, mais l’u­ti­li­sa­tion de “hau­teur” est erronée.

Deuxième erreur : altitude vs niveau de vol

Là, c’est un peu plus sub­til : les niveaux de vol ne sont pas des alti­tudes, mais des pres­sions cor­res­pon­dant à des alti­tudes théo­riques en atmo­sphère stan­dard.

L’in­té­rêt ? Ima­gi­nez deux avions tra­ver­sant l’o­céan Atlan­tique. Ça fait deux heures qu’ils volent au-des­sus de l’eau. L’un va vers l’ouest et vole à 36 000 pieds, l’autre va vers l’est et vole à 35 000 pieds. Pro­blème : ce jour-là, la pres­sion atmo­sphé­rique à New York est plus faible qu’à Paris. Tout en gar­dant l’al­ti­mètre par­fai­te­ment calé sur les valeurs vou­lues, le pre­mier va des­cendre dou­ce­ment, le second va mon­ter dou­ce­ment. Et si per­sonne ne fait gaffe, il y a un risque qu’ils soient tous les deux à 35 500 pieds lors­qu’ils se croisent, et donc qu’ils se percutent.

Les niveaux de vol se basent sur des pres­sions stan­dard. Si le pre­mier est au niveau 360 et le second au 350, peut-être que l’un sera à 36 734 pieds lors­qu’il pas­se­ra Brest et que l’autre sur­vo­le­ra l’île du Cap-Bre­ton à 34 841 pieds, mais lors­qu’ils se croi­se­ront, ils auront bien leurs 1000 pieds d’é­cart — et aus­si bien, ils seront à 36 127 et à 35 127 pieds, ils s’en foutent.

60 m de plus

Le niveau 060 cor­res­pond donc à une alti­tude de 6000 ft, soit 1828 m, uni­que­ment dans une atmo­sphère stan­dard. Hier après-midi à Orly, la pres­sion atmo­sphé­rique était d’en­vi­ron 1020 hPa. Le “niveau zéro”, défi­ni une fois pour toutes comme celui où la pres­sion est de 1013 hPa, était donc presque 200 ft plus haut. Concrè­te­ment, un avion en vol au niveau 060 était donc à envi­ron 6 200 ft d’al­ti­tude, quelque chose comme 1 890 m donc — soit une hau­teur mini­male de 1 750 m envi­ron, le point culmi­nant de la forêt étant à 144 m d’altitude.

Je pinaille ? Oui, mais quand on fait une pla­quette de la DGAC ou un article visant à infor­mer les gens, on a tout inté­rêt à être pré­cis — et si l’on ne veut pas s’en­com­brer de ces détails, il suf­fit d’a­jou­ter “envi­ron” devant les altitudes.

Au pas­sage, on évi­te­ra le terme “vidange” pour ces opé­ra­tions : à la fin d’une vidange, le conte­nant est vide. Le 777 d’hier a dû se poser très près de sa masse maxi­male à l’at­ter­ris­sage, avec sans doute encore une petite cen­taine de tonnes de kéro­sène à bord. Ses réser­voirs étaient donc loin d’être vides.

Ça n’est pas non plus un “déga­zage”, puisque c’est un liquide qui est éva­cué, ni un “lar­gage”, qui est ins­tan­ta­né. Le terme cor­rect est “déles­tage” — on éli­mine du poids.