Décrypter
|J’y pense et puis j’oublie : ça fait longtemps que ce tic de langage m’agace, et puis je trouve toujours quelque chose de plus urgent à faire que ce billet. Et ce matin, c’est François Morel qui m’y fait penser, alors voilà, je me décide : auriez-vous l’amabilité, journalistes, mes semblables, mes frères, de cesser d’utiliser “décrypter” et “décryptage” n’importe comment ?
Il est vrai qu’on ne vous facilite pas la vie : “crypter” et “chiffrer”, c’est la même chose. Un mot est plus propre que l’autre (je vous laisse deviner : c’est celui que vous utilisez le moins), mais un message crypté et un message chiffré, c’est pareil.
Mais “décrypter” et “déchiffrer”, c’est radicalement différent.
- Le déchiffrement est une opération légitime : on a un message chiffré, une clef, et on déchiffre. Par extension, on peut déchiffrer un document obscur, comme une fiche de paie, un article de L’Obs ou un projet de loi socialiste : l’auteur ne considère pas comme anormal qu’on comprenne son document, il n’a juste pas fait l’effort de le rendre aisément intelligible.
- Le décryptage est une opération illégitime : on a un message chiffré, on n’a pas la clef, et on décrypte, c’est-à-dire qu’on casse son chiffrement pour le lire quand même. Par extension, on peut à la limite décrypter un document que son auteur a délibérément rendu incompréhensible, comme les indices d’un jeu de piste ou les conditions d’utilisation de Facebook.
Mais on ne “décrypte” pas un projet de loi, sauf à considérer que les députés ont fait exprès de le rendre inintelligible. On ne “décrypte” pas le code des impôts. Et quand on explique à quelles conditions un avion peut délester, quand on analyse les relations entre Donald Trump et les électeurs hispaniques, quand on présente le point de vue de Poutine sur la Crimée, ça n’est absolument pas un décryptage : les informations sont là, elles sont plus ou moins claires (en tout cas, pas plus chiffrées qu’un courriel confidentiel d’Hillary Clinton), et il s’agit juste d’en extraire la substance pour en fournir une version brève et limpide. Selon le niveau de clarté du matériau d’origine, on peut considérer ça comme un déchiffrement, mais ça n’a rien d’un décryptage.
La différence entre déchiffrement et décryptage, c’est à peu près la même qu’entre don et vol. Je pense utile de la préserver.