Subversif : Sausage party vs Vaiana
|Les hasards des horaires et, peut-être, mon goût pour les contrastes, ont fait que j’ai vu hier deux films d’animation : Sausage party et Vaiana, la légende du bout du monde. Ils ont quelques petites différences de fond… enfin, disons que leur seul point commun, c’est la technique utilisée, l’animation 3D par ordinateur. Pour le reste, ils n’ont rien à voir, l’un est une farce grasse et l’autre une quête initiatique.
L’un des deux est haï par les associations conservatrices et, très souvent, qualifié de “subversif” par ceux qui en parlent. Il s’agit du premier, et ça ne cesse de me surprendre.
Histoire de bien se mettre d’accord, ça veut dire quoi, “subversif” ? Comme d’habitude, demandons à mes fidèles amis. Le Trésor de la langue française nous dit ceci :
Domaine mor., soc., pol. Qui est susceptible de bouleverser, de détruire les institutions, les principes ; qui menace l’ordre établi.
Larousse, de son côté, nous explique :
Qui est de nature à troubler ou à renverser l’ordre social ou politique
Qui soutient des idées menaçant l’ordre social
Bien.
Sausage party est l’histoire d’êtres dont le rêve ultime est une relation intime avec l’élu de leur cœur mais qui attendent pour cela d’être unis par un être suprême. Ils doivent défendre leurs congénères et leurs amis contre d’immondes prédateurs, et finissent par éliminer les prédateurs et fêter ça. Oui, soyons clair : la saucisse et le pain à hot-dog rêvent d’être mariés devant Dieu pour pouvoir enfin s’envoyer en l’air. Après avoir découvert l’inexistence de Dieu, on a une brève scène de partouze, mais au bout du compte chaque saucisse trouve sa miche et c’est ça le bonheur. Il y a aussi un type qui se drogue et certains y voient un message genre “la drogue permet de mieux voir la réalité”, mais le type en question meurt rapidement et plutôt douloureusement : la drogue, c’est mal, et chercher à voir au delà des évidences, c’est la malédiction assurée.
Vaiana, la légende du bout du monde est l’histoire d’une jeune fille à qui son père, chef du village, a interdit de partir explorer le monde au nom de la sécurité et de la tradition. Elle découvre que les autorités lui mentent, tourne le dos à la sécurité, aux traditions et aux valeurs familiales, et va vivre sa vie selon ses propres règles ; lorsqu’elle rencontre un dieu, c’est elle qui lui donne des ordres et lui réclame des comptes, elle ne tombe amoureuse de personne, elle mène sa barque à son idée, et finit par renverser l’autorité et diriger son peuple sans apparemment prévoir ni mariage, ni enfants. Moralité : être têtue et rebelle, c’est cool et ça sauve le monde.
Laissez-moi vous poser une question simple : lequel des deux est le plus subversif ?
Lequel des deux remet en question les institutions et l’ordre social ? Lequel est révolutionnaire ? Lequel est susceptible de bouleverser Dieu, la famille et l’autorité ?
“Subversif” ne veut pas dire “sexuel”. Sausage party est sexuel, oui, mais sa morale se résume à protéger ses proches, trouver l’âme sœur, se marier avec et être heureux.
Vaiana, la légende du bout du monde, qui est parfaitement adapté aux enfants selon Fillon (vu que, d’une, c’est un dessin animé et que, de deux, y’a pas de sexe dedans), pousse nos chères têtes blondes à remettre en question les figures d’autorité, à découvrir les vérités cachées, à réclamer des comptes à ceux qui les cachent et à prendre le pouvoir sans chercher à perpétuer les traditions, les habitudes ou même l’espèce.
Quand on commence à croire que mettre une allusion sexuelle dans un film est subversif, c’est soit qu’on n’a plus aucune notion de ce qu’est la subversion, ou bien qu’on imagine qu’enfoncer une saucisse dans une miche peut mettre à bas la société.
Dans les deux cas, c’est très inquiétant. Au moins autant que de ne pas voir à quel point Vaiana, la légende du bout du monde peut, lui, être profondément subversif.