Incendiaire ≠ pyromane
|Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde.
C’est ce qu’écrivait Camus, qui parlait évidemment de toute autre chose et dont la citation est généralement déformée jusqu’à être privée de tout sens — ce qui est bien le comble, tout de même, reconnaissons-le.
Mais ça fait toujours classe de commencer par citer un auteur prestigieux, alors voilà.
Il y a une tendance très énervante ces temps-ci : parler de “pyromane” pour quiconque allume un incendie.
C’est doublement un problème, voici pourquoi.
D’abord, ce n’est pas la même chose.
- Un incendiaire est quelqu’un qui allume volontairement un incendie. C’est évident, mais voilà, ça ne dit rien de ses motivations, de son mode d’opération ou de quoi que ce soit d’autre.
- Un pyromane est quelqu’un qui souffre de pyromanie, c’est-à-dire d’une pulsion obsédante poussant à allumer des incendies. C’est la motivation et son statut psychiatrique qui sont au cœur de la définition.
Ça n’a l’air de rien, mais ça change tout.
D’abord, la majorité des incendiaires ne sont pas pyromanes : ils mettent le feu par intérêt (de “je crame cette parcelle, je pourrai la cultiver” à “je suis pompier, je vais toucher une prime”), par vengeance (“tiens, la haie de mon voisin qui dépasse la hauteur réglementaire…”), par volonté de foutre la merde (“le maire fait chier, je vais pourrir sa saison touristique”), par connerie (“j’aimerais voir un lot de beaux gosses en uniformes”)… Ils sont conscients de leurs actes et dépendent logiquement du système judiciaire : l’article 322–6 du Code pénal leur promet jusqu’à 15 ans de réclusion criminelle.
Les pyromanes, eux, ne sont pas maîtres de leurs actes ; ils mettent le feu par folie, littéralement. Leur place est en hôpital psychiatrique, où ils peuvent avec un peu de bol être traités et apprendre à maîtriser leurs pulsions. Notons qu’il doit logiquement exister des “pyromanes abstinents”, fascinés par le feu, qui voudraient allumer des incendies, mais qui luttent contre eux-mêmes pour n’en rien faire ou ne jouent avec le feu que dans des environnements maîtrisés : ça existe pour toutes les manies (au sens psychiatrique du terme).
Dire qu’il faudrait mettre les pyromanes au milieu du feu pour les faire réfléchir, comme j’ai pu le lire sur Facebook, c’est donc complètement con : outre que c’est une provocation publique à l’atteinte volontaire à la vie, punie de cinq ans d’emprisonnement, ça ne peut évidemment pas faire réfléchir une personne qui, par définition, ne maîtrise pas ses actes.
Mais ce n’est pas tout. Ce n’est pas seulement un problème de confondre incendiaire et pyromane ; c’est aussi un problème plus spécifique d’utiliser le terme “pyromane” en dehors de son champ d’application.
Pyromane est un mot récent. Incendiaire existait déjà au 13è siècle ; pyromanie est apparu en 1833, dans un ouvrage de médecine légale. Il a été créé spécifiquement pour désigner les incendiaires privés de raison, qui n’ont rien à faire en prison mais qu’il faut aider à guérir de leur maladie ou enfermer pour leur propre protection.
En utilisant “pyromane” pour désigner n’importe quel incendiaire, on nie la réalité psychiatrique de la maladie et on dit que finalement, malades et criminels doivent être traités de la même manière.
Imaginez une seconde que vous ayez la grippe. Vous croisez un vieux dans la rue, juste au moment où vous éternuez. Il attrape la grippe et meurt. Trouveriez-vous normal que ceux qui parlent de vous utilisent le terme “meurtrier” ? Pensez-vous que c’est en prison que vous guérirez de votre grippe et que vous y ferez le mieux amende ?
Et bien, mélanger pyromanes et incendiaires criminels, c’est exactement pareil.
Évidemment, quand c’est un journaliste qui parle de pyromanie et d’incendie criminel dans la même phrase, c’est pire…